Dépister toujours plus, plus souvent, et plus tôt les cancers ne serait pas forcément une bonne chose. C’est en tout cas ce que pensent plusieurs médecins, qui tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années face au dépistage excessif et au surdiagnostic.
Comme l'explique le Dr Bernard Duperray, spécialiste du cancer du sein, retraité après quarante ans de pratique à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, le surdiagnostic renvoie au risque de «diagnostiquer des cancers qui n’auraient pas donné d’inconvénients aux patients qui en sont porteurs s’ils étaient restés ignorés (car la maladie ne se serait peut-être jamais développée, ndlr)».
«mesurer le bénéfice et le risque»
Alors que débute la campagne de mobilisation pour la lutte contre le cancer du sein, Octobre rose, pour l’épidémiologiste Catherine Hill, qui a dirigé le Service de biostatistiques et d’épidémiologie de l’Institut Gustave Roussy pendant dix ans, le dépistage du cancer du sein est utile à condition qu’il soit effectué à 50 ans et pas avant.
«Le dépistage organisé commence à 50 ans, mais environ 75% des femmes qui arrivent ont déjà fait une mammographie antérieure. Le dépistage a la potentialité de transformer une personne bien portante en personne malade. D’où l’importance de vérifier qu'il ne nous fasse pas plus de mal que de bien. Il faut toujours mesurer le bénéfice et le risque», explique-t-elle, car les risques sont nombreux.
«Si on vous trouve un petit cancer du sein, on va vous faire une mastectomie, une tumorectomie, une reconstruction mammaire, voire une symétrisation, soit un an en traitement pour rien si ce cancer était destiné à ne jamais devenir symptomatique.», détaille-t-elle, préconisant le dépistage du cancer du col de l’utérus et le dépistage du cancer colorectal, qui sont «bien plus efficaces que le dépistage du cancer du sein».
des objectifs non atteints
Un avis que partage le Dr Bernard Duperray, auteur du livre «Dépistage du cancer du sein - La grande illusion». Le dépistage devait limiter le nombre de traitements agressifs, faire baisser la mortalité et diminuer le nombre de cancers avancés. Mais il n’en est rien : «Le dépistage n’a pas atteint les objectif qu’il s’était fixé», assure-t-il.
«Le rapport bénéfice-risque du dépistage est défavorable. Lorsqu’on compare des populations dépistées et des populations non-dépistées, la baisse de mortalité observée depuis quelques années est identique dans les deux populations. Le nombre de cancers avancés ne diminue pas avec le dépistage. Il est simplement dilué par des cancers plus petits plus nombreux», explique le Dr Bernard Duperray.
Le problème vient notamment du fait que la maladie est vue de manière intuitive. «On a imaginé un développement linéaire de la maladie qui a servi de justification au dépistage. Or, explique le Dr Duperray, un cancer avancé n'est pas la résultante automatique d'un petit cancer. Un petit cancer peut rester longtemps latent et ne signifie pas précoce».
dépistage du cancer de la prostate et de la thyroïde : un problème analogue
Chez l'homme, le même problème se pose avec le cancer de la prostate, et le risque de surdiagnostic «est beaucoup plus grand», assure Catherine Hill. «Si on trouve un cancer de la prostate chez un homme, on va lui faire de la chirurgie. Et la moitié des hommes traités sont impuissants, incontinents, soit les deux. C’est pour ça que le dépistage du cancer de la prostate est déconseillé».
«Après avoir réalisé des études autopsiques, on a trouvé que 30% de personnes de 30 ans et 80% de celles de 80 ans avaient des cellules cancéreuses dans leur prostate. Et la plupart de ces cancers ne deviennent jamais symptomatiques. Pour le cancer de la tyroïde c’est pareil. On a trouvé que 11% des gens avaient des cellules cancéreuses, dont la plupart ne deviennent également jamais symptomatiques.», détaille-t-elle.
Dans une étude publiée dans la revue The New England Journal of Medicine, le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC/IARC) a évalué les personnes qui pourraient avoir fait l'objet d'un surdiagnostic de cancer de la thyroïde en l'espace de 20 ans dans 12 pays développés, dont les Etats-Unis, l'Italie et la France.
«La majorité des cancers surdiagnostiqués ont été traités par des ablations complètes de la thyroïde, souvent associées à d'autres traitements nocifs comme l'ablation des ganglions du cou ou la radiothérapie, sans bénéfices prouvés en termes d'amélioration de la survie», a expliqué le Dr Silvia Franceschi, l'un des auteurs de l'étude.
L'important, estime le Dr Duperray, c'est que les patients prennent leur décision en toute connaissance de cause. «Quand on discute de l’intérêt ou non du dépistage et qu’on est bien portant, c’est en toute sérénité qu’on décide de s’y soumettre ou pas après s’être informé en lisant les critiques du dépistage et l’avis de ceux qui en font la propagande pour ainsi se faire sa propre opinion».