A l’occasion de la 26ème édition d’Octobre Rose, mois de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre le cancer du sein, CNEWS a rencontré Isabelle Guyomarch autour de son ouvrage «Combattante» (ed. Cherche Midi).
Un livre témoignage sur la résilience au fil duquel cette mère de deux enfants raconte son expérience de femme et de dirigeante transformée par la maladie pour en éclairer d'autres et libérer la parole sur les tabous des cancers féminins.
A la tête d'un groupe industriel cosmétique, Isabelle Guyomarch apprend en août 2013 qu’elle est atteinte d’un cancer du sein de stade 3 agressif, synonyme de chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie.
Alors qu'elle lutte pour sa survie, elle décide de créer en 2017 Ozalys, une marque innovante de produits cosmétiques destinée aux femmes atteintes par le cancer. Cinq ans après la fin des traitements, Isabelle Guyomarch est toujours en rémission.
Qu’est-ce qui vous a poussée à raconter votre histoire ?
J’ai eu besoin de donner du sens à une épreuve qui n’en a pas. Une épreuve qui est incroyablement difficile à vivre. Il y a beaucoup de femmes engagées après la maladie et chacune transmet et témoigne à sa manière. «Combattante» c’est une manière de témoigner, de transmettre et aussi d’ouvrir la voie pour les autres femmes à travers mes mots. J’appelle cela la résilience. Et tout cas c’est la mienne.
A qui s’adresse votre ouvrage ?
Mon livre s’adresse à toutes les femmes et à tous ceux qui aiment les femmes. Nous sommes toutes potentiellement touchées par le cancer. On l’est soit directement soit indirectement car on a toutes une sœur, une amie, ou une mère touchée par la maladie. C’est un témoignage à nu qui est concentré sur une période de ma vie.
Je parle beaucoup de féminité, de ses bonheurs ainsi que de ses douleurs et ses contraintes, mais c'est un livre qui est également très apprécié des hommes. Pour eux, c'est une façon de mieux comprendre ce que leur mère ou leur compagne traverse dans la mesure où j'aborde des sujets dont on ne parle jamais.
En effet, votre ouvrage lève plusieurs tabous qui pèsent sur les femmes touchées par le cancer. Quels sont-ils ?
Les femmes qui traversent cette épreuve vont affronter des périodes difficiles durant les traitements. Ces traitements nous sauvent la vie, mais ils laissent des séquelles extrêmement importantes. Avec la chirurgie, le sein ne sera plus jamais le même. Quelle soit partielle ou totale, la chirurgie est une mutilation physique et morale qui a des conséquences sur l’image que les femmes ont d’elles-mêmes et leur qualité de vie avec des douleurs qui vont du dos à la sexualité.
Le cancer est un deuil. Le deuil de la santé, de la féminité, parfois le deuil de son conjoint, de son travail. On n’oublie pas que près de 3 femmes sur 5 perdent leur emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic. Le traitement est très long, entre cinq et dix ans. D'autre part, il y a une forme de honte et de pudeur à se plaindre lorsqu’on est en vie. L’entourage veut tourner la page, se renouer avec la vie, mais pour les femmes, cette survie est difficile à assumer, presque culpabilisante.
Dans votre ouvrage, vous écrivez : «Les gens ne connaissent qu’une Isabelle. Moi je sais que j’ai changé». Qui est la nouvelle Isabelle ?
Ce n’est ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. C’est une femme qui doit se réinventer, s’inventer. Une femme qui doit apprendre à vivre avec des douleurs dont elle sait qu’elles sont irréversibles. Mais aussi une femme qui doit apprendre à vivre avec la peur de la récidive. Elle est omniprésente. Quand on a eu un cancer du sein, on est marquée toute sa vie.
Cette Isabelle n’est pas plus heureuse, ni plus forte. Elle est indéniablement plus libre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’engage autant. Je n’ai plus peur de parler. C’est une épreuve qui devient tellement fréquente qu’elle en devient presque ordinaire, mais il ne faut pas que ce soit le cas.
Vous parlez de vos deux filles et de Bruno, qui vous ont beaucoup soutenue. Le soutien de votre entourage a joué un rôle essentiel ?
L’entourage est à la fois un formidable soutien et un formidable poids. Quand vous avez cette perspective de la mort, le chagrin et la douleur de partir vous ne l’avez pas pour vous, vous l’avez pour ceux qui restent. Se dire que l’on va laisser ses enfants trop tôt, que l’on ne les verra pas grandir, c’est quelque chose d’extrêmement difficile. On les regarde nous aimer, mais nos proches sont aussi une douleur.
Tout en combattant la maladie vous avait choisi de continuer à travailler. Pourquoi ?
Si j’arrêtais de travailler, je mourais. C’est une parenthèse de vie et je ne voulais pas la vivre sans mon travail. Cela paraît incroyable à dire mais je suis une femme d’action et cette action dont la maladie me privait c’était impossible pour moi. J’avais déjà la sensation de tout perdre et la seule chose sur laquelle je réussissais à garder le contrôle c’était en réussissant à aller travailler. Car l’arrêt de travail c’est aussi synonyme d’éviction sociale. Et puis j’ai un devoir en tant que chef d’entreprise. J’ai 250 salariés et je ne pouvais pas les abandonner. Ca m’a permis de rester debout. C’est après que je me suis effondrée, comme beaucoup de malades.
Vous avez conçu l'exposition «Ozalys Ose», inspirée de votre livre «Combattante», qui se tiendra les 4 et 5 octobre à Paris. Pourquoi avoir fait appel à l'art ?
J’ai souhaité parler du cancer autrement qu’avec des mots. Cette année je veux aller au-delà grâce à l’art contemporain. Je veux ouvrir la voie aux femmes à travers un parcours multi-sensoriel. C’est une exposition* dont l’objectif est de magnifier cette féminité malmenée où on perd tout : son sein, ses cheveux, ses ongles, ... C’est une exposition très militante que je souhaite d’utilité publique.
Au cœur du parcours, on a créé un objet unique au monde : un orgue à sensations. Il va vous permettre de passer un petit peu de l’autre côté du miroir et de ressentir les principaux inconforts que l’on rencontre dans ce long parcours de soin. Les femmes souffrent en silence. Seul l’art peut nous permettre de suggérer sans choquer. L’objectif est de rendre beau et de redonner une place à cette femme qui a la sensation de l’avoir perdue. Mais aussi tenter d’obtenir des améliorations dans la prise en charge pour la qualité de vie des femmes pendant et après le cancer.
*«Ozalys Ose», 4 et 5 octobre, Le Studio des Acacias, Paris 17e.
Vous avez lancé en 2017, une marque de cosmétiques pour les femmes atteintes de cancer, Ozalys. Quelle était votre ambition ?
Ozalys c’est l’ambition de ramener les femmes à la salle de bain en toute sécurité. Je fabrique depuis onze ans des cosmétiques pour les plus grandes marques du monde. Mais lorsqu'on affronte le cancer, on est plus du tout dans des considérations esthétiques. Après la chirurgie on a une cicatrice près de l’aisselle qui nous empêche de mettre du déodorant par exemple.
J’ai souhaité une marque mondiale. C’était un grand enjeu de former une gamme complète compatible avec toutes les zones du monde. Ozalys est une marque sociétale, c’est-à-dire qui va au-delà des lois. On a pris le parti de supprimer tous les ingrédients, même ceux autorisés, qui vont se comporter comme des hormones. Car pour les femmes ayant eu un cancer du sein, c'est strictement contre-indiqué.
Octobre Rose est le mois de la prévention, avez-vous des recommandations à faire aux femmes pour les inciter à se faire dépister ?
Ma première recommandation, c’est l’autopalpation une fois par mois et dès son plus jeune âge. Je pense que les femmes doivent apprendre à connaître leur corps. C’est souvent après le diagnostic que les femmes se disent : «je n'avais pas fait le lien, je n'avais pas vu cette petite zone sèche sur un cadran de mon sein ou que mon mamelon était un peu plus petit que l’autre».
J’ai élévé mes filles en leur disant «fait attention quand tu sors, prends la pilule…». Mais j'ai oublié de leur dire «touche tes sein et regarde tes seins». Il faut leur apprendre dès la puberté à regarder leurs seins autrement que sur un plan esthétique. Pour moi c’est le message premier.