La boucle est sur le point d'être bouclée. C'est un «tour de France» de 80 jours au total que s'apprête à achever Emmanuel Macron, ce jeudi, lors d'un ultime déplacement en Corse dans le cadre du grand débat national, après une visite en Bretagne mercredi.
Amorcé le 15 janvier, l'exercice, destiné selon l'Elysée non seulement à répondre au mouvement des gilets jaunes, mais plus largement à prendre le pouls du pays, a permis au président de reprendre des couleurs dans les sondages de popularité. L'enjeu désormais – ou plutôt toute la difficulté – sera de conclure cette tournée de l'Hexagone par des actes forts. Au risque, sinon, de s'enfoncer encore un peu plus dans la crise.
Retour sur cinq points marquants du grand débat version présidentielle.
des discussions marathon
La durée totale des 14 débats approche des 100 heures, avec près de 85 heures avant les deux étapes bretonne et corse. Le record est détenu par celui avec les intellectuels : plus de huit heures, soit une heure de plus qu'avec les élus d'Outre-Mer, et deux de plus que les premiers débats, dans l'Eure et le Lot, longs de plus de 6 heures. Certaines chaînes d'info ont diffusé de bout en bout, avec 1,25 million de téléspectateurs pour le premier d'entre eux. Les audiences ont ensuite nettement baissé.
En introduisant le premier débat, Emmanuel Macron assure aux 600 maires rassemblés : «Je ne vais pas parler longtemps car l'objectif, c'est surtout de vous entendre». Mais sur les 6h30 de la réunion, il parle pendant près de 3h30... Tombant la veste au bout de quelques heures, Emmanuel Macron ne boude pas son plaisir d'être au milieu de l'agora, le micro à la main, retrouvant l'enthousiasme de la campagne de 2017. «Il adore ça», confie un conseiller.
Emmanuel Macron : plus de 6 heures face aux maires pour lancer le grand débat https://t.co/9dcZboSH1N pic.twitter.com/WVBlsTkvDK
— CNEWS (@CNEWS) 15 janvier 2019
Un président incollable ou presque
Grâce aux innombrables fiches qu'il ingurgite avant chaque déplacement, le président répond en détail sur tous les dossiers locaux ou nationaux, de la péréquation des dotations de l'Etat à la fécondité de l'ourse des Pyrénées, en passant par les rapports d'expertise sur une maternité voisine.
A chaque rencontre, ces salves de plus d'une centaine de questions transforment l'exercice en grand oral. Une unique fois, en riant, il a déclaré forfait sur... les tracas des géomètres-experts. «Les géomètres experts ? ... J'avoue, je n'ai pas ça sous la jambe !».
Avant de prendre le micro, Emmanuel Macron note quelques mots sur chaque question, le nom de son auteur et son emplacement dans la salle. Doté d'une grande mémoire, il peut ainsi, une heure après la question, se tourner directement vers son interlocuteur en lui répondant. «Il est bluffant, il a réponse à tout», s'exclame un maire.
Des échanges policés
De bout en bout, les échanges ont été globalement très policés. Pourtant, certains maires n'hésitent pas à lui parler «cash». Comme Christian Venries à Souillac (Lot) le 18 janvier : «Je vous mets en garde, monsieur le président : il ne faudra pas que ce débat devienne le grand bluff».
Le ton monte un peu sur les sujets polémiques, comme la suppression de l'impôt sur la fortune à Bourg-de-Péage (Drôme) le 24 janvier. «Je ne l'ai pas fait pour faire un cadeau à des gens», affirme le président. «Ben si !», répond en coeur l'assemblée. «Non, c'est pas vrai», rétorque Emmanuel Macron.
Au bout de deux mois, l'opposition dénonce une «opération de communication» qui «s'éternise». Résultat : la réunion avec les Hauts-de-France est boycottée par les parlementaires LR, RN, LFI et communistes. Le dernier débat, en Corse, s'annonce d'ailleurs tendu, sur fond de grogne des nationalistes.
Adrien Quatennens sur le Grand débat : « Emmanuel Macron a dit qu'il serait seul à prendre décision à l'issue de ce Grand débat [...] Je crois profondément que la décision finale doit revenir directement au peuple et pas au seul monarque présidentiel » pic.twitter.com/mf94HzTnGM
— CNEWS (@CNEWS) 29 mars 2019
Des gilets jaunes quasi absents
Très présents au début, ils ont progressivement disparu. A Grand Bourgtheroulde, ils sont une centaine à contourner les barrages pour crier «Macron démission». Idem à Souillac (Lot), où une banderole clame: «Manu, arrête tes macronneries, tu ne vas pas réussir à nous endormir avec ton grand débat».
Jean-Luc Mélenchon (LFI) dénonce d'ailleurs leur absence dans la salle : «Nous voyons 600 personnes, nos élus locaux, des braves gens, en écharpe. Au milieu un type qui répond aux questions. Et tout autour, 1.200 policiers. Et pas un seul gilet jaune !».
Mais à Bourg-de-Péage, Emmanuel Macron s'invite à une rencontre locale et se retrouve pour la première fois à débattre avec quelques gilets jaunes dans une ambiance plutôt décontractée. «On peut pas dire qu'il m'a convaincu mais on sent que dans ses réponses, il fait sincère», réagit l'un d'eux. Et à Pessac, une militante du mouvement l'interpelle et tente en vain de lui faire enfiler un collier avec comme pendentif un mini-gilet jaune, lors d'un échange tendu.
Grand Débat à Pessac : Emmanuel Macron a été interpellé par une Gilet Jaune qui est ensuite allée répondre aux questions des médias, ce qui n'a pas plu au président de la République pic.twitter.com/WAv2EwJSom
— CNEWS (@CNEWS) 28 février 2019
Curieusement, le débat où il parle le plus des gilets jaunes est celui avec les enfants le 28 mars. «J'ai envie de [leur] répondre» mais pas à ceux qui «ont mis un gilet jaune pour tout casser», leur explique-t-il.
Un grand flou à l'arrivée
Tout au long du débat, le chef de l'Etat joue les équilibristes. Il veut à la fois défendre ses réformes et réaffirmer son cap, mais sans paraître fermé aux revendications des Français ni révéler ce qu'il pourrait accorder en plus – «on m'aurait accusé de préempter le débat». «Je tirerai des solutions véritables de ce débat car je veux en faire un acte II de mon mandat», promet-il le 16 janvier.
«Je suis un pragmatique, il n'y a pas de tabou», assure-t-il à Souillac le 18 janvier. Pourtant d'emblée, il écarte un retour de l'ISF. Au fil des jours, il laisse entrevoir des concessions, comme des aménagements pour les 80 km/h, un plan d'aide aux petites associations, la révision de la loi NOTRe ou l'élection de conseillers territoriaux.
Il faudra attendre la mi-avril pour connaître les premières conclusions de l'Elysée. Alors que des mesures «puissantes», dixit le Premier ministre, sont plus que jamais attendues par les Français, c'est donc la suite de son quinquennat qu'Emmanuel Macron est en passe de jouer. Pour le meilleur ou pour le pire.