A 99 ans, dans sa villa perchée au dessus de Sète, Pierre Soulages continue de travailler sans écouter ses maux et se prépare à une rétrospective au Louvre, couronnement de son œuvre en décembre, mois de son centenaire.
Il avance à pas lents mais continue à peindre chaque fois qu'il en a la force dans son atelier situé sous sa villa. Pierre Soulages peut compter sur le soutien attentif de Colette, sa femme, de quelques mois plus jeune, l’œil pétillant de sollicitude et d'intelligence, après 77 ans de mariage.
A la question s'il «travaille encore», le créateur de l'Outrenoir rétorque un brin piqué : «mais je travaille toujours !».
Ils sont tous deux vêtus de noir, mais ne semblent pas du tout en deuil. A travers les baies de sa véranda rectangulaire, la Méditerranée étincelle et apporte un sentiment de paix.
«Il y a deux mois, confie-t-il à l'AFP, je ne pouvais me lever, à cause de mon dos. Je compte retourner dans mon atelier à Paris quand je le pourrai».
«Le Louvre m'a proposé une exposition et j'ai accepté. Ils décrochent la totalité du Salon carré pour moi», dit cet homme géant et massif, avec fierté. Jean-Luc Martinez, le directeur du Louvre, est venu à Sète. Des prêts des plus grands musées seront au rendez-vous.
«Pierre travaille sur le projet d'une grande toile. Il y pense la nuit. Une toile à accrocher dans un espace resté libre de l'exposition», confie son épouse.
«L'extraordinaire, ce n'est pas tant qu'il peigne, c'est qu'il continue à chercher, à réfléchir. Il voit des choses qu'on ne voit pas», constate un ami de passage.
Pour Soulages qui a eu dès les années 50 une notoriété aux Etats-Unis, il y a aussi un projet d'exposition du galeriste Emmanuel Perrotin dans un nouvel espace à New York. Mais «je crois qu'il n'y arrivera pas», lâche-t-il dubitatif.
Solitude créative
A Sète où ils sont vénérés, Pierre Soulages et sa femme connaissent «des gens de tous les milieux» mais vivent «assez solitaires». «Je connais mal les artistes contemporains. Ici, je veux travailler, j'ai demandé qu'il y ait quelques remparts», reconnaît l'artiste. Quand il travaille, il place à la porte un galet entouré d'une ficelle «pour qu'on (lui) fiche la paix».
L'artiste fabriquait et désormais fait confectionner avec une infinie précision des outils pour ses toiles : «je fais l'outil pour faire une oeuvre». Il ne supporte pas d'être distrait, enlevant n'importe quel objet qui obstrue la vue : «mon atelier est nu alors que les ateliers d'artistes sont encombrés. Je me détache de ce qui pourrait me retenir».
«Il faut que ça aille assez loin en moi, et, quand ça reste en chemin... A l'extérieur j'ai brûlé des toiles. Ce qui est médiocre, je ne le garde pas».
Pourquoi avoir travaillé sur le noir ? «C'est une couleur très active. On met du noir à côté d'une couleur sombre et elle s'éclaire». C'est «le blanc la couleur du deuil».
Enfant déjà à Rodez «il trempait le pinceau dans l'encrier», et sa mère lui faisait ce reproche : «tu portes déjà mon deuil». «Je faisais des traces noires sur le papier. J'aimais beaucoup les arbres l'hiver sans feuilles».
Sa mère riait quand il disait qu'il faisait «de la neige». «J'étais sincère: je rendais le blanc du papier plus blanc en mettant du noir.»
Sa période de référence est la Préhistoire : «pourquoi un homme a-t-il eu le besoin de tracer des traits sur une paroi ? L'enseignement est mal fait: on en parlait à peine».
Pierre Soulages a connu tous les présidents, Jacques Chirac le mieux, François Mitterrand le moins.
L'an dernier, le couple Macron lui a rendu visite : «J'ai été impressionné par leur culture, leur ouverture et la manière dont ils ont su se rendre amicaux immédiatement».
Claude Pompidou, elle, était «une amie, venue souvent ici même : je l'aimais beaucoup».