Des attentes immenses. C’est aujourd’hui, au musée de l’Homme, à Paris, que le chef de l’Etat doit présenter son plan de lutte contre la pauvreté. Un discours très attendu, alors que ce fléau frappe 14% des Français en général et près de 20% des moins de 18 ans.
Le baromètre annuel du Secours populaire, dévoilé mardi, révélait quant à lui qu’un peu plus d’un sondé sur cinq (21%) avait du mal à faire trois repas par jour.
En première ligne sur ce dossier crucial, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, est bien décidée à incarner avec conviction le virage social que souhaite prendre le gouvernement.
Quels sont les enjeux du plan contre la pauvreté présenté ce matin par le chef de l’Etat ?
Ils sont nombreux et partent tous du même constat. En France, il faut plusieurs générations à une famille pour sortir de la pauvreté. Elle a changé de visage depuis de nombreuses années. Il y a beaucoup d’enfants, de jeunes et de familles pauvres, souvent des familles monoparentales.
La façon dont on a historiquement pensé la lutte ne permet pas d’atteindre ces publics-là. Les inégalités se creusent donc très tôt, avec des enfants élevés dans des familles trop précaires, qui n’ont pas les moyens de bien apprendre à l’école, d’être bien formés, et qui se retrouvent très tôt éloignés de l’emploi et parfois pour toujours. Pour nous, chacun doit avoir sa chance à chaque étape de sa a vie et cela passe par des mesures concrètes dès la petite enfance jusqu’à l’âge adulte.
Les plus jeunes et les adultes longtemps au chômage seront donc au cœur de votre projet ?
Au-delà de l'enfance et la jeunesse, premier pilier de la réforme, la réforme vise à replacer l’activité et l’emploi au cœur de la lutte contre la pauvreté, ce qui suppose de fournir l’accompagnement qui permet, quand on est sans emploi, de trouver les outils pour en récupérer un : c’est la meilleure manière de sortir de la pauvreté.
Par exemple, concernant le RSA (Revenu de solidarité active, ndlr), celui-ci doit normalement être lié à un accompagnement vers l’emploi. Pourtant, aujourd’hui, moins de 50 % des bénéficiaires sont accompagnés dans les six premiers mois. Les personnes restent donc au RSA et s’enfoncent dans la précarité.
Au sujet du RSA, vous avez évoqué, dans le cadre du plan, du «travail rémunéré». Qu’en est-il ?
En fait, nos dispositifs de réinsertion sont trop lents à intervenir et concernent trop peu de personnes. De même, les associations qui œuvrent dans le champ de l’insertion pour les personnes qui sont les plus éloignées de l’emploi, et sont insuffisamment financées.
Nous allons donc leur donner les moyens afin qu’elles accompagnent les plus précaires vers la réinsertion et l’emploi. De son côté, Pôle Emploi aura pour mission d’orienter plus rapidement vers un emploi ceux qui sont un peu moins précaires. Il n’est pas question de bénévolat. L’objectif du plan est de combattre la pauvreté autrement, de façon globale, en offrant un accompagnement plus personnalisé.
Une nouvelle aide financière à la garde d’enfants pour les familles modestes est aussi évoquée...
Les familles les plus modestes n’auront plus à avancer l’argent pour faire garder leurs enfants : nous créons le tiers payant et la CAF paiera directement les frais de crèche ou d’assistante maternelle. D’autre part, nous allons financer 90.000 places dans des crèches qui accueillent des enfants issus de familles défavorisées pour encourager la mixité sociale.
«Les familles les plus modestes n’auront plus à avancer l’argent pour faire garder leurs enfants»
Il faut aussi aider les parents en difficulté qui, ont besoin de suivre une formation, aller à un rendez-vous pour un emploi et doivent pouvoir faire garder leur enfant. Enfin, parce que les enfants ne peuvent pas bien suivre à l’école en ayant le ventre vide, nous allons aider les communes à financer des petits déjeuners dans les écoles élémentaires.
Dans les familles monoparentales, le parent travaille également souvent en horaire décalé. Comment aider les crèches à davantage s’adapter ?
Cela fait effectivement partie des préoccupations que nous avons. Nous souhaitons que les crèches, aujourd’hui, s’adaptent davantage aux besoins et aux contraintes de ces familles monoparentales. Avec des horaires plus souples et des possibilités plus larges pour accueillir les enfants. Nous savons que sinon c’est un frein majeur dans leur accès à un emploi stable.
[© N. Revelli-Beaumont pour CNEWS]
Un tiers des possibles bénéficiaires des aides sociales ne les réclament pas. Que prévoyez-vous ?
Pour combattre ce «non-recours», nous allons simplifier les documents que les familles ont à donner pour accéder à telle ou telle allocation. Nous souhaitons également que certaines prestations soient renouvelées automatiquement.
Par ailleurs, la réforme du prélèvement à la source permettra de percevoir des allocations fondées sur les revenus en temps réel. Souvent, les prestations sont calculées sur la base de revenus qui datent d’il y a deux ans, comme les APL. Cela évitera aussi les indus, des prestations versées à des gens qui ont retrouvé un emploi et doivent les rembourser.
Quelles prestations seront concernées par ces mesures de simplification ?
Progressivement, toutes les prestations. Nous sommes en train de travailler sur les documents qui sont demandés soit à la Caisse d’allocations familiales, soit auprès de l’assurance-chômage, soit auprès des départements, pour harmoniser ce qui est demandé et que les gens n’aient pas à chaque fois à produire des documents différents.
On va le faire aussi grâce à l’informatique, cela permettra de garder en mémoire dans le système de la caisse d’allocations familiales tous ces documents et de simplifier la vie des gens.
Vous avez toutefois exclu l’idée d’une allocation sociale unique...
Non, La réalisation est techniquement difficile à brève échéance. C’est une réflexion qu’on se doit d’ouvrir. D’ailleurs, plus on est pauvre, plus on est vulnérable et précaire, plus le nombre de guichets auxquels on doit s’adresser pour avoir toutes les prestations est grand, ce qui est en quelque sorte décourageant. Il faudrait au contraire simplifier la vie des gens les plus en difficulté.
Quels moyens financiers allez-vous consacrer à ce plan ?
Nous allons d’abord consacrer des moyens à prendre le problème à la racine en finançant des formations pour les personnels qui s’occupent des très jeunes enfants, des places de crèche, des professionnels de l’insertion, etc.
«Au total nous investirons 8 milliards d’euros sur le quinquennat»
Notre politique est de maintenir les aides financières - elles vont toutes augmenter - mais surtout d’investir pour l’avenir pour que les personnes sortent de la pauvreté : au total nous investirons 8 milliards d’euros sur le quinquennat.
Après avoir subi la hausse de la CSG, les retraités ne verront leur pension progresser que de 0,3 % par an en 2019 et 2020 (l’inflation étant retenue à 1,7 %). Ne sont-ils pas les parents pauvres de la politique sociale du gouvernement ?
C’est vrai que nous avons choisi de revaloriser le pouvoir d’achat des actifs en revalorisant le travail. C’est ce que nous allons faire avec la prime d’activité. Et je rappelle que les retraites des retraités sont payées aujourd’hui par les actifs. Mais il faut regarder la situation dans son ensemble : les retraités bénéficieront comme les Français de la suppression de la taxe d’habitation.
Ils seront également parmi les principaux bénéficiaires de notre stratégie de santé, qui met l’accent comme jamais sur la prévention et l’accès sans reste à charge aux soins dentaires, optiques et audioprothétiques qui augmentent avec l’âge, et qui leur évitera donc des dépenses de santé contraintes et subites.
Par ailleurs, je rappelle qu’aujourd’hui, les retraités ont en moyenne un pouvoir d’achat légèrement supérieur aux actifs. Cela étant dit, il ne faut pas contester le fait qu’il y a aussi des retraités pauvres.
Et, pour eux, pour les retraités pauvres, nous augmentons de presque 100 euros le minimum vieillesse en l’espace de deux ans et demi, ce que personne n’a jamais fait. Le minimum vieillesse va ainsi passer de 800 à presque 900 euros dès le 1er janvier 2020 en trois étapes (35 euros cette année, 30 euros l’année prochaine et 30 euros le 1er janvier 2020).
[© N. Revelli-Beaumont pour CNEWS]
D’autres aides sont-elles prévues ?
Il y a d’autres mesures prévues comme, dès le 1er janvier 2019, une baisse de 200 euros sur les prothèses auditives. Pour une personne âgée, le reste à charge pour une prothèse (après remboursement de la sécurité sociale et de la mutuelle) est de 850 euros par oreille. Donc, dès l’année prochaine, il y aura 200 euros de moins.
Nous allons également mettre en place une aide à l’accès aux complémentaires santé pour les personnes les plus en difficulté, retraités pauvres inclus.
Autre dossier, la réforme du système de santé, présentée mardi prochain...
Il n’est plus suffisamment adapté. Notre population est vieillissante et 10 millions de personnes souffrent de maladies chroniques en ALD (Affections de longue durée). Lorsque quelqu’un entre dans le système de soins, il voit un généraliste qui va ensuite lui dire de prendre rendez-vous avec un spécialiste… La personne fait un parcours que j’appelle «de boule de flipper».
L’idée est donc que médecins libéraux et ceux de l’hôpital se «parlent mieux», et de mettre en place des équipes soignantes qui s’organiseront pour répondre aux besoins et pas que le patient aille chercher de l’aide à dix endroits différents.
Vous maintenez qu’aucun hôpital de proximité ne sera fermé ?
Oui, et cela s’accompagnera de changements dans les services. Nous souhaitons maintenir ces hôpitaux, car les Français ont besoin de proximité. Mais il pourra y avoir des réorganisations d’activité entre les établissements, car nous manquons de médecins, et il nous faut bien répartir les différentes spécialités sur tout le territoire.
L’aménagement du «numérus clausus» en fac de médecine pourrait-il pallier ce manque ?
Le numérus clausus (limitation du nombre de places, ndlr) est un gâchis, qui empêche des générations de jeunes motivés d’accéder au métier dont ils rêvent. Dans le cadre de la réforme, il y aura une refonte des études de médecine et de santé, très cloisonnées.
«Il y aura une refonte des études de médecine et de santé»
Les futurs professionnels ne connaissent pas ou peu la spécialité étudiée par leur collègue. Nous allons y remédier. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 9.000 médecins formés, mais ils ne vont arriver sur le marché de l’emploi qu’en 2025.
Plusieurs organisations de médecins ou d’infirmiers font part d’un besoin urgent de moyens humains et matériels. Comment répondre à ce malaise des soignants ?
L’hôpital souffre beaucoup de la désorganisation de la médecine de ville et du fait qu’elle ne soit pas suffisamment en capacité de prendre en charge beaucoup de patients.
La réforme vise justement à recentrer l’hôpital sur sa valeur ajoutée et à travailler à une meilleure organisation des cabinets médicaux, ce qui soulagera ces professionnels des dysfonctionnements.
[© N. Revelli-Beaumont pour CNEWS]
L’Androcur, un traitement hormonal, causerait des tumeurs. Est-on à l’aube d’un scandale ?
Il faut parfois plusieurs années de recul pour voir apparaître des effets indésirables suite à la consommation prolongée d’un médicament. Ils ne sont pas toujours repérables dans les études cliniques.
C’est le cas pour l'Androcur : ce sont les autorités françaises qui ont alerté les autres pays européens à ce sujet. Les personnes qui prennent de l’Androcur pendant longtemps ou à dose élevée ont des risques accrus de développer des tumeurs bénignes du cerveau que l’on appelle des méningiomes.
J’invite les patients concernés à se rapprocher de leur généraliste, mais il n’y pas d’urgence, ce n’est pas un cancer. Ce n’est pas un scandale sanitaire.
Vous avez demandé une évaluation de l’homéopathie, jugée inefficace par certains médecins, Pourquoi ?
Je me suis rendue compte, en arrivant au ministère, que l’homéopathie n’avait jamais été évaluée et était remboursée à 30 %. Cela coûte 70 millions d'euros à l’assurance maladie.
J’ai donc demandé à la Haute autorité de Santé de l’évaluer, car quand on décide de faire prendre en charge un médicament par la solidarité nationale, il faut être sûr que ce soit efficace. Ses conclusions sont attendues en février.
En 2019, un autre gros chantier se profile, avec la réforme des retraites. Que dire aux salariés ?
Cette réforme, toujours en concertation, devra répondre à l’engagement du chef de l’Etat de voir «un euro cotisé donner les mêmes droits à tous».
Aucune décision n’est prise pour savoir notamment à quelle génération de salariés ce système universel s’appliquera. Ceci dit, il y aura forcément une période de transition.
Des premières conclusions sont attendues au printemps et la réforme ne sera pas prête avant le milieu de l’année prochaine.