Clément Méric est tombé «KO, comme un boxeur» : c'est la seule certitude que partagent les témoins. Cinq ans après la rixe mortelle en plein Paris, la cour d'assises cherche une cohérence à des fragments de mémoire.
L'un a vu l'éclat doré d'une arme, l'autre un poing nu. L'un a entendu un petit «cri de victoire», l'autre une injonction à fuir. Une première semaine de débats a vu défiler une galerie d'experts et de témoins, plus ou moins sûrs d'eux, dont les récits n'ont pas permis de lever toutes les incertitudes.
Deux anciens skinheads, Esteban Morillo et Samuel Dufour, 25 ans aujourd'hui, sont jugés pour des coups mortels portés en réunion et avec une arme - un poing américain. Ils encourent jusqu'à 20 ans de réclusion criminelle. Un troisième accusé risque 5 ans de prison pour des violences.
Ce 5 juin 2013, Clément Méric, étudiant et militant d'extrême gauche de 18 ans, a rejoint des camarades à une vente privée de vêtements dans le quartier Saint-Lazare. Les antifascistes y croisent un groupe de skinheads, le ton monte.
Quarante minutes plus tard éclate une bagarre rue Caumartin, à quelques mètres de là. Ils sont trois ou quatre de chaque côté, selon l'enquête. Clément Méric s'écroule. Morillo reconnaît lui avoir asséné deux coups, à main nue.
«Le son mat» des coups
Ce qui a frappé Alban A., qui sortait du passage du Havre au moment où démarrait la rixe, c'est «le son mat» des coups, «violents». «J'ai fait des arts martiaux, j'aurais voulu agir, mais j'étais gelé.» Il se souvient du «petit cri de joie de celui qui avait mis l'autre à terre».
D'autres ont entendu «One shot» au moment où Clément Méric tombe. Certains évoquent une femme qui hurle «c'est le diable».
Patrice H., SDF à l'époque, venait à peine d'arriver de son squat pour prendre place rue Caumartin, «il en voit un sortir un truc tout doré : pour moi c'était un poing américain». Il est formel, il fait «collection».
Interrogé par la police, il identifie Esteban Morillo, alors cheveux ras. A l'audience, il s'embrouille, décrit un homme avec une queue de cheval. Ce dont il est sûr - il «n'avait pas commencé à boire» - c'est qu'une seule personne a frappé Méric.
Antoine G., cadre, se dirige vers le RER voisin. Il aperçoit un skinhead, qu'il désigne comme étant Dufour, armé d'un poing américain et porteur d'un tatouage toile d'araignée. Les trois accusés portent ce tatouage mais ce jour-là, la vidéo surveillance montre que Morillo est le seul à porter des manches courtes.
Mélanie Z., qui travaille dans le e-commerce, était au téléphone et ne réalise pas immédiatement ce qui se passe. Elle est à moins de trois mètres des groupes.
Elle voit distinctement Morillo donner «deux coups à Méric» et Dufour frapper Matthias Bouchenot, un des antifas qui se tenait juste à côté. «Je n'ai vu aucun poing américain.»
«C'est ce que je dis depuis le début», a soufflé Samuel Dufour, qui a affirmé porter des bagues.
Les camarades de Méric, Steve Domas et Aurélien Bourdon, n'ont pas le souvenir d'un poing américain. En revanche, Matthias Bouchenot est catégorique.
«Je vois Morillo fondre sur Clément et Dufour se jette sur moi», dit-il à la barre, précisant que Morillo a un poing américain «à la main droite».
«Dufour avait aussi un poing américain, ce n'étaient pas des bagues. C'était un poing en anneaux», se souvient-il. «Quand il me frappe, le coup glisse, une partie me touche le bras.»
L'autopsie n'avait décelé aucune fracture et avait exclu l'emploi d'une arme. Une contre-expertise présentée vendredi a conclu à l'existence d'une fracture du nez de Clément Méric compatible et avec des poings nus et avec des armes de type poing américain et/ou bagues.
Les accusés seront interrogés en début de semaine, le verdict est attendu le 14 septembre.