Des agriculteurs entendent envoyer un «coup de semonce» au gouvernement en bloquant lundi dépôts de carburant et raffineries pour protester contre l'importation de produits agricoles non conformes aux normes françaises, mais se heurtent déjà à des résistances.
«C'est un coup de semonce que nous voulons donner aujourd'hui (lundi). L'agriculture, c'est 14% des emplois français. C'est un secteur qui compte. Aujourd'hui, 3.000 agriculteurs sont dans la rue. Est-ce qu'ils vont être écoutés ou pas ?», s'est interrogée Christiane Lambert, patronne de la FNSEA, syndicat qui organise cette action depuis dimanche soir avec les Jeunes Agriculteurs (JA) pour trois jours reconductibles.
Le gouvernement a d'ores et déjà fait part de son opposition au mouvement par la voix du ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, qui a déclaré lundi matin que «ces blocages sont illégaux», en estimant que «ce n'est pas en bloquant» des raffineries «qu'on trouvera des solutions».
Il s'est néanmoins engagé à recevoir mardi les représentants de la FNSEA et ceux des JA, qui veulent discuter des accords de commerce internationaux en cours de négociation, et de la question des normes, et des charges supplémentaires qu'elles rajoutent, selon l'entourage de Stéphane Travert.
Sur les 14 raffineries ou dépôts de carburant bloqués lundi matin, il n'en restait que 13 en début d'après-midi après le départ des agriculteurs du site de La Mède (Bouches-du-Rhône), symbole de leur lutte contre l'importation de produits agricoles dont l'huile de palme.
«Nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions, on ne se sent pas aidés, mais les agriculteurs sont fatigués et sont obligés de retourner travailler», a déclaré à l'AFP Jean-Paul Comte, président de la FRSEA des Bouches-du-Rhône.
Mais la FNSEA assure que trois autres dépôts vont être bloqués dans l'après-midi à Saint-Priest (Rhône), Reichstett (Bas-Rhin) et Portes-lès-Valence (Drôme).
«Sur tout le Bas-Rhin, il n'y a plus rien. Les deux sites sont fermés, les camions citernes ne rentrent pas», a assuré Franck Sander, président de la FDSEA 67 à l'AFP. «Nous sommes 150 en tout et techniquement nous sommes organisés pour (occuper les sites) une semaine, pour organiser les rotations. Tout dépend de l'attitude du gouvernement», a précisé le syndicaliste.
«On se moque de nous»
Mais «le gouvernement ne reviendra pas» sur l'autorisation donnée à Total d'importer de l'huile de palme pour alimenter sa bioraffinerie de La Mède, qui doit démarrer cet été, a déclaré M. Travert.
Jusqu'à 300.000 tonnes par an de cette huile hautement controversée car accusée de favoriser la déforestation en Asie du Sud-Est, doivent être importées. L'agriculture française affirme pouvoir fournir davantage d'huile de tournesol ou de colza, mais plus chère.
«Nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout, au-delà de mercredi s'il le faut», a assuré Jocelyn Pesqueux, président de la FDSEA de Seine-Maritime, qui bloquait avec 60 à 80 agriculteurs la raffinerie de Gonfreville-L'Orcher.
D'abord empêchés d'accéder à la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique), des agriculteurs des Pays de la Loire ont mené une opération escargot sur la quatre-voies allant de Nantes à Saint-Nazaire, avant d'avoir l'autorisation d'accéder à la raffinerie Total.
En région parisienne, «l'organisation est faite pour durer» car «le dialogue est rompu», a renchéri Damien Greffin, président de la FRSEA d'Ile-de-France, devant le dépôt de Grigny (Essonne).
Avec ces blocages, les agriculteurs dénoncent aussi d'une manière générale ses «incohérences» sur les importations de matières premières agricoles : inciter les agriculteurs français à monter en gamme tout en concluant des accords de commerce internationaux qui provoquent des distorsions de concurrence.
Pas de pénurie en vue
Le mouvement est observé avec intérêt par les ONG environnementales, d'ordinaire opposées à la FNSEA dans les dossiers phytosanitaires .
«Aujourd'hui 50% des biocarburants consommés en France sont déjà importés (...) Et dans ces 50%, on est parfois sur des taux à 75% d'huile de palme. Ca veut dire que le biocarburant qui va être produit à la Mède contiendra moins d'huile de palme, 50% maximum, que ce que nous importons actuellement», a argumenté Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat à la Transition écologique.
Interrogée dans une station service de Ris-Orangis, Galadriel, une animatrice, estime en effet «qu'on a d'autres façons de faire que d'aller détruire des forêts pour récolter de l'huile de palme et les habitats de certains animaux».
De son côté, le groupe Total affirme que «les dépôts pétroliers disposent des stocks nécessaires à l'approvisionnement en stations-service» et que «les opérations sur site continuent sans perturbations».