Jean-Marie Le Pen, tout en lui écrivant sa «pitié», a renoncé à lancer une dernière bataille contre sa fille au congrès du FN à Lille, ce qui devrait permettre à Marine Le Pen de tourner «politiquement» la page et d'avoir les coudées franches pour refonder le parti.
«Je ne me rendrai pas à Lille parce que je ne veux pas me rendre, si peu que ce soit, complice de l'assassinat du Front national qui va s'y dérouler», a déclaré lundi sur RTL le cofondateur du parti d'extrême droite, exclu en 2015 pour avoir tenu de nouveaux propos polémiques sur la Shoah. Il avait pourtant menacé de venir au congrès en recourant si besoin à la «force publique».
Son exclusion, portée par sa fille Marine, présidente du FN depuis 2011, a donné lieu à une longue bataille judiciaire. Le 9 février, la cour d'appel de Versailles a confirmé que M. Le Pen n'était plus adhérent du parti tout en le maintenant à la présidence d'honneur.
Mais cette décision judiciaire pourrait devenir caduque au congrès puisque les militants du FN y voteront -sans doute favorablement- de nouveaux statuts du parti qui suppriment ce poste de président d'honneur, créé en 2011.
Le secrétaire général du FN, Steeve Briois, avait indiqué que le FN interdirait l'accès au congrès les 10 et 11 mars à Jean-Marie Le Pen au motif qu'il n'était plus adhérent.
«J'ai pitié d'elle»
L'eurodéputé, qui ne se représentera pas aux européennes de 2019 et a présidé le FN depuis sa création en 1972 jusqu'à l'élection de sa fille en 2011, va avoir 90 ans en juin.
«Il se déplace difficilement. Il ne va pas lancer une nouvelle formation politique ni tenter un coup de force physique voué à l'échec», estime le politologue Jean-Yves Camus.
D'autant que sa fille, seule candidate à sa succession, est assurée d'être réélue présidente du FN.
Pour le spécialiste de l'extrême droite, «l'opposition de Jean-Marie Le Pen est médiatiquement gonflée» car plusieurs militants de longue date comme lui sont quand même candidats au comité central (parlement) du FN, ce qui montre «une continuité» dans le parti sur ses dossiers fétiches, immigration et insécurité.
Si M. Le Pen a baissé les bras, il n'a pas de mots assez durs sur sa fille, y compris dans ses mémoires à paraître le 1er mars («Fils de la nation», Muller).
«J'ai pitié d'elle», écrit-il. «Marine vient de subir une présidentielle et des législatives décevantes», «peine à faire sa rentrée» avant un congrès qui «s'annonce houleux». «Elle est assez punie comme cela pour qu'on ne l'accable pas».
Jugeant «excessif» le terme de «parricide», il estime pourtant que la stratégie de sa fille, qui veut faire du FN un parti de gouvernement et d'alliances, est «un suicide».
Page tournée «politiquement»
Qu'il renonce à venir à Lille «est une décision de sagesse», s'est réjoui sur LCI Sébastien Chenu, porte-parole du FN et grand soutien de Marine Le Pen et de la refondation du parti, changement de nom compris.
«Politiquement, la page» Jean-Marie Le Pen «est tournée» et «ce serait bien qu'il l'admette», a jugé dimanche la présidente du FN sur BFM-TV, qui refuse cependant d'évoquer leurs relations personnelles.
«Peut-être que tout cela est entendu», a suggéré sur LCI lundi l'ex-numéro deux du FN Florian Philippot.
«Tous les enfants sont amenés à tuer leurs parents pour accéder à l'indépendance», explique le psychanalyste Samuel Lepastier. Or ces tensions sont d'autant plus aiguës au FN que la «structure est à la fois familiale et politique», comme dans les familles royales, avec «disgrâces et crimes».
M. Lepastier rappelle cependant que la «haine, forme dégradée de l'amour, permet de maintenir un lien père-fille».
Marine Le Pen a «intérêt à se réconcilier avec l'ancienne génération, son père, ou avec la nouvelle, Marion Maréchal-Le Pen» qui a prononcé jeudi à Washington un discours remarqué, sinon sa place va «se réduire beaucoup», a jugé sur BFMTV le politologue et ex-candidat LR aux régionales Dominique Reynié.