Les attentats jihadistes de 2015 et 2016 n'ont pas sensiblement accru les crispations identitaires, contrairement à ce qui était redouté, mais la visibilité de l'islam dans l'espace public inquiète davantage que par le passé, selon une étude publiée mardi.
Cette enquête de l'institut Ipsos (1.400 Français âgés de 18 ans et plus interrogés en novembre 2016, dont 562 de moins de 30 ans) a été commandée par la Fondation du judaïsme français, organisation communautaire qui vient de lancer un «observatoire» pour évaluer régulièrement la place des «minorités au sein de la communauté nationale», notamment celle des juifs de France.
A lire aussi : Burkini, burqa, voile : de quoi parle-t-on et que dit la loi ?
Rendue publique il y a un an, la première vague de cette étude sur «l'évolution de la relation à l'autre au sein de la société française», réalisée essentiellement en 2014, avait fait polémique. Par certaines questions posées et publiées, mais aussi en interrogeant des personnes «se considérant comme juives» et d'autres «musulmanes», l'enquête avait été accusée de véhiculer des préjugés au lieu de les mettre au jour.
Cette deuxième vague, qui porte sur la population française dans son ensemble, devrait être reçue de manière plus consensuelle. D'après ses résultats, la société semble faire preuve de résilience dans un pays où les attentats jihadistes ont fait 238 morts en 18 mois, alors que «de nombreux observateurs s'attendaient à un fort accroissement des tensions».
«La crispation, le repli sur soi et la méfiance à l'égard des autres restent forts mais, c'est intéressant, ne progressent pas», indique à l'AFP Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos.
La part des Français qui rejettent le lien entre immigration et insécurité (59%, -2 points par rapport à 2014) recule très légèrement. Parallèlement, les préjugés envers plusieurs minorités (juifs, Roms, Asiatiques...) sont en repli, parfois net.
La crainte de l'intégrisme religieux
La société, toutefois, se raidit face à «l'intégrisme religieux»: en 2016, si 39% des Français jugeaient qu'il restait peu développé en France, ils étaient 47% à penser ainsi deux ans plus tôt.
Les signes renvoyant à l'appartenance sont encore plus rejetés qu'en 2014: ainsi des mères voilées accompagnant les sorties scolaires (68% d'opposants, +6) ou des hommes en tenue traditionnelle musulmane (52%, +4). Le burkini (maillot de bain couvrant les cheveux et le corps) fait une entrée fracassante parmi les attributs contestés (72%), après avoir été au coeur d'une vive polémique l'été dernier.
«La visibilité de l'islam dans l'espace public est une source de tensions plus vives qu'il y a deux ans, et par ailleurs on note une inquiétude diffuse vis-à-vis de la figure symbolique de l'homme musulman, comme s'il était porteur d'une menace potentielle plus palpable», en conclut l'enquête.
Les préjugés antisémites (sur le pouvoir, l'argent, la solidarité, le lobbying...) sont notés en léger recul. «Surtout, à la faveur des attentats», relève Ipsos, 51% des Français considèrent désormais que les juifs ont «des raisons d'avoir des craintes de vivre en France», un chiffre en hausse de 16 points par rapport à 2014.
«On constate une empathie accrue, on a l'impression que les Français non juifs s'identifient mieux au premier groupe visé par le terrorisme», souligne auprès de l'AFP le président de la Fondation du judaïsme français Ariel Goldmann, cinq ans après la tuerie de Toulouse qui avait été le premier signal du basculement de la France dans une ère de violence jihadiste.
Quant aux jeunes, «ils ne sont pas fondamentalement plus tolérants que l'ensemble des Français, sauf sur l'homosexualité, un peu sur l'islam et les préjugés antisémites. Si cela se confirme, c'est important pour l'avenir», estime Brice Teinturier, qui compte bien continuer d'enquêter sur la perception des minorités, quelles que soient les critiques dans un pays où la question des statistiques ethniques est hautement inflammable. «Il faut tenir bon sur la volonté de mesurer pour comprendre», fait-il valoir.