En acceptant de céder des actifs clef à Free, Bouygues Telecom fait une première concession afin de convaincre le gendarme de la concurrence qu’un rachat de l'opérateur SFR, débouchant sur une concentration du secteur, pourrait être acceptable, et fait le bonheur de Free.
L'opérateur a indiqué dimanche qu'il était prêt à céder l'intégralité de son réseau mobile, soit "15.000 antennes et un portefeuille de fréquences, dont une partie pour la 4G", à son concurrent Free, mais cette offre est conditionnée au succès du rachat de la filiale télécom de Vivendi.
"Martin Bouygues est conscient que l'Autorité de la concurrence va demander un rééquilibrage de la concurrence", a souligné une source proche du groupe, puisque le projet de mariage entre SFR et Bouygues Telecom réduirait le nombre d'opérateurs de 4 à 3.
Et, de ce point de vue, cette opération renforcerait Free qui "pourra continuer à jouer son rôle d'animateur du marché", en maintenant des prix bas, a expliqué cette source.
Avec cette transaction, "Bouygues met des atouts de son côté", alors que le nouvel ensemble présenterait plus de 50% des abonnés mobile français, a relevé Yves Gassot, spécialiste des télécoms pour l'Institut de l'audiovisuel et des télécoms en Europe (Idate).
"C'est une décision lourde de conséquences" pour Bouygues, qui avait investi dans les infrastructures, les fréquences et lancé la 4G en voulant être en pointe, a noté ce spécialiste du centre de recherche sur le numérique.
Free, qui s'était vu imposer d'investir pour la construction de son réseau propre, saisit ainsi une opportunité bienvenue.
L'opérateur, dont le principal actionnaire est Xavier Niel, fonctionnait grâce à un accord avec Orange. Free disposait de 7.000 antennes et utilisait 12.000 antennes d'Orange dans le cadre d'un accord d'itinérance, qui représente cependant un coût à chaque fois qu'un abonné Free utilise le réseau de son concurrent.
- Une situation de quasi-duopole -
"Pour nous, l’avantage c’est de rapprocher le jour de notre indépendance", a indiqué à l'AFP Maxime Lombardini, directeur général de Free. "On se retrouve avec un réseau de 15.000 points hauts efficace avec les fréquences adéquates pour faire des offres de qualité à un prix attractif", a-t-il précisé.
Pour autant, Bouygues pourrait être amené à faire d'autres cessions, puisque l'accord annoncé dimanche "ne change rien en termes de part de marché", a relativisé une source proche du dossier.
Si Bouygues absorbe SFR, Orange, actuel numéro un du marché se retrouverait numéro deux, mais l'ensemble pèserait toujours autour de 90% du marché en termes d'abonnés, contre 11% pour Free. Cette situation de quasi-duopole serait mal vue du côté de l'Autorité de la concurrence.
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Bouygues pourrait devoir prendre des engagements supplémentaires, notamment pour garantir l'accès des MVNO, ces opérateurs sans réseau fixe comme La Poste Mobile ou Virgin Mobile, ou garantir des investissements dans la fibre, selon une autre source du secteur.
Si les pouvoirs publics ont souligné l'importance des engagements en matière d'emploi et d'investissements dans les infrastructures, Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, a répété dans le Figaro samedi que "l'Autorité décidera en toute indépendance" sur le plan concurrentiel.
L'examen du dossier SFR pourrait prendre jusqu'à neuf mois en cas d'enquête approfondie, "le cas le plus probable", a-t-il précisé.
Pour Yves Gassot, ces tentatives de concentration du secteur français des télécoms, "n'ont rien d'une spécificité française" puisque "l'ensemble des marchés européens souffrent d'une hyperconcurrence et d'une guerre des prix".
Il suggère d'ailleurs que l'autorité de la concurrence européenne pourrait se saisir du dossier à l'instar d'autres opérations de concentration en Europe.