Encensés, mais aussi vandalisés ou qualifiés de "pompes à fric", les radars automatiques ont intégré le quotidien des automobilistes français et indéniablement contribué à la baisse de la mortalité routière, dix ans après l'inauguration du tout premier modèle.
Une boîte en métal sous un pont, au milieu d'une "quatre voies": lorsqu'il est dévoilé par les ministres Nicolas Sarkozy (Intérieur) et Gilles de Robien (Transports) ce 27 octobre 2003 à la Ville-du-Bois (Essonne), l'austère premier radar automatique de France ne laisse rien présager de la révolution qui s'annonce.
"On peut comparer ça, en importance, à la mise en place de la ceinture de sécurité obligatoire en 1973", assure pourtant le professeur Claude Got, en partie à l’origine du projet.
A l'époque, en dehors de quelques expérimentations, la question des radars automatiques, déjà actifs aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou en Australie, n'a jamais fait débat en France. Avant qu'un concours de circonstances ne la place au coeur des préoccupations.
A peine réélu, Jacques Chirac érige en juillet 2002 la lutte contre l'insécurité routière au rang de "grande cause nationale". Au même moment, une commission planche depuis plusieurs mois sur un rapport commandé par le gouvernement Jospin.
"Personne n'était au courant de l'annonce de Jacques Chirac", se remémore Michel Ternier, président de cette commission. "Notre rapport n'était pas totalement terminé, mais on avait déjà nos conclusions. On les a remises au gouvernement, sentant qu'il y avait là une opportunité."
La plupart sont retenues, dont celle des radars automatiques, puis entérinées dès décembre 2002 par un Comité interministériel à la sécurité routière (CISR). Moins d'un an plus tard, le radar de la Ville-du-Bois est inauguré.
"C'est passé comme une lettre à la poste", s'étonne encore Michel Ternier. "Les opposants ne sont apparus que plus tard. Sur le moment, il n'y ont pas cru !"
A la tronçonneuse
"Au début, il y a aussi eu une sidération de leur part à cause des résultats instantanés, avant même que le premier radar soit mis en service", renchérit Claude Got.
Entre 2002 et 2003, le nombre de tués sur les routes baisse de 21%, passant de 7.242 à 5.731, diminution à laquelle une circulaire de 2002 de Nicolas Sarkozy n'est pas étrangère: le ministre de l'Intérieur demande à ses services "que toutes les infractions relevées fassent l'objet de procédures".
"Toute la réforme de 2002 a consisté à cela", insiste Claude Got, "rendre crédible les limitations de vitesse".
Depuis, 4.129 radars ont fleuri sur les routes françaises, dont 2.202 fixes, et la mortalité n'a cessé de fléchir, pour atteindre 3.842 morts en 2012.
"On avait des sondages très favorables. On a agi avec transparence et il y a eu une forte communication au niveau des résultats", se félicite Rémy Heitz, délégué interministériel à la sécurité routière de 2003 à 2006.
Il n'a pourtant pas fallu attendre plus de 48 heures pour voir le radar de Ville-du-Bois volontairement endommagé.
Un geste inaugural -à coups de masse- qui en appellera d'autres: au moins 992 dégradations lourdes ont été enregistrées entre 2007 et 2013, aucune donnée n'étant disponible avant cette date, selon la Sécurité routière.
Beaucoup se sont attaqués aux radars -au coût unitaire de 90.000 euros- à coups de barre de fer, avec de la peinture, ou ont tenté d'y mettre le feu, en dépit de peines pouvant aller jusqu'à 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende.
4,2 milliards d'euros
En 2008, un artisan de 47 ans est condamné dans l'Ain à 1.200 euros d'amende après avoir tenté en pleine nuit de découper un boîtier au chalumeau. En 2011, c'est à la tronçonneuse qu'un radar était abattu près de Thionville (Moselle) par des inconnus.
D'autres ont utilisé des armes à feu et même des pelleteuses.
En 2008, une "Fraction armée nationaliste armée révolutionnaire" revendique la destruction de huit radars en région parisienne à l'explosif, méthode expérimentée pour la première fois en Corse en 2004.
Aujourd'hui, même les plus farouches opposants à une baisse des limitations de vitesse - encore suggérée début octobre dans un rapport d'experts - adhèrent au principe des radars.
"Nous ne remettons absolument pas en cause le contrôle sanction automatisé (CSA)", assure Roger Braun, directeur général de l'Automobile club association. "Mais à l'évidence, il y a des anomalies, comme les problèmes de plaques dupliquées", ajoute-t-il.
Le Défenseur des droits a d'ailleurs demandé à Matignon de renforcer le dispositif d'obtention des plaques d'immatriculation, afin d'éviter que des usurpateurs échappent aux PV grâce à de fausses plaques, surnommées "doublettes".
Autre grief: les radars seraient des "pompes à fric". Depuis dix ans, entre études, enquêtes d'opinion et pétitions d'automobilistes, le débat n'a jamais cessé. Avec près de 76 millions de contraventions envoyées depuis 2003, et plus de 4,2 milliards d'euros engrangés par l'Etat entre 2003 et 2012, l'argent du CSA fait grincer des dents.
"L'Etat a découvert que ça pouvait être une manne financière intéressante. Mais il ne faut pas dire aux Français que cet argent va à la sécurité routière", estime Pierre Chasseray, délégué général de 40 millions d'automobilistes, soulignant que sur 1,6 milliard d'euros de recettes issues des contraventions - dont 613 millions des radars - 463 millions sont destinés au désendettement de l'Etat.