Vidéosurveillance, géolocalisation, fichage... les moyens à la disposition des entreprises pour garder un oeil sur leurs salariés sont nombreux, certaines en profitant en toute légalité, tandis que d'autres sont soupçonnées d'en abuser, comme Ikea récemment.
Avec les nouvelles technologies, "les moyens de surveillance deviennent très accessibles, donc la surveillance se développe", explique à l'AFP Yann Padova, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Récemment, la Commission a ainsi mis en demeure publiquement une société toulousaine qui avait installé huit caméras... pour huit salariés.
Le responsable de la Cnil précise que la mise en oeuvre de tels dispositifs sur les lieux de travail n'est pas par principe illégale. "C'est une question d'équilibre", dit-il.
L'employeur doit justifier d'un intérêt légitime à la mise en place de la surveillance, consulter les représentants du personnel et avertir ses salariés et la Cnil.
Ces règles valent pour la vidéosurveillance, la géolocalisation, les badges, les fichiers ou encore la cybersurveillance (enregistrements des conversations, filtrage des sites, logiciels "mouchards"...). Les dérives observées prennent différentes formes. Dans l'affaire la plus récente, Ikea est soupçonné d'avoir utilisé la bonne vieille méthode de la "tricoche", c'est-à-dire le recours à des enquêteurs privés pour obtenir des renseignements sur certains salariés et clients.
Des employeurs qui "se défoulent"
D'autres affaires de fichiers de salariés, avec des commentaires du type "individualiste", "sournois", "cas social"... ont aussi touché des entreprises comme Décathlon, la Macif, ou encore une filiale de Capgemini.
Les documents étaient le plus souvent découverts par hasard ou... envoyés par erreur aux personnes concernées à la suite d'une manipulation informatique erronée.
"Les employeurs ignorent souvent que les salariés ont le droit de demander l'accès aux informations les concernant", y compris les commentaires, explique M. Padova.
"Souvent, par méconnaissance des règles, les gens se défoulent", mais les salariés "commencent à connaître ce droit", dit le responsable.
En cas de plainte, la Cnil peut effectuer des contrôles et imposer des sanctions financières. Mais, ajoute M. Padova, son "arme principale est la publicité".
En 2010, l'entreprise de soutien scolaire Acadomia en a fait les frais en recevant un avertissement public pour un fichier particulièrement édifiant portant sur enseignants, parents et enfants ("gros con", "saloperie de gamin", "parisien frustré").
Pour Olivia Luzi, avocate au cabinet Feral-Schuhl/Sainte-Marie, spécialisé dans le droit des nouvelles technologies, les entreprises sont tout de même "de plus en plus vigilantes" sur la législation qui est "très bien encadrée".
Son cabinet est souvent sollicité par des groupes qui veulent se "mettre en conformité", dit-elle, admettant avoir constaté quelques "usages qu'il a fallu changer".
Thierry Venin, chercheur au CNRS, souligne de son côté un phénomène "beaucoup plus insidieux", affirmant qu'avec les smartphones notamment, "les gens sont de plus en plus sous laisse électronique".
Ces outils appréciés des salariés, qui organisent parfois eux-mêmes leur propre surveillance via les réseaux sociaux, peuvent aussi permettre aux employeurs de suivre leurs déplacements.
Si M. Padova reconnaît que "la géolocalisation explose", il souligne que la Cnil a établi une règle reprise par la Cour de cassation en novembre, "à savoir qu'on ne peut pas géolocaliser des salariés qui ont une liberté d'organisation dans leur travail".
La Commission dispose aujourd'hui de 182 agents, contre 95 en 2006. Sa montée en puissance semble peiner à suivre le rythme de la technologie.