Pendant trois semaines ils ont levé les poings, hurlé de joie à en tomber à la renverse, agité même le drapeau national... pour un pays où ils vivent seulement depuis quelques mois. Après l'Euro de football, les réfugiés irakiens, syriens ou afghans en pincent désormais pour la Mannschaft.
Pour la demi-finale perdue jeudi soir contre la France, Zaïd Al-Ahmed, un jeune Irakien de 22 ans, s'est glissé dans la marée humaine noire-rouge-or, au couleurs du drapeau allemand, pour suivre fébrilement les exploits des hommes de Joachim Löw sur un écran géant installé devant la Porte de Brandebourg, à Berlin.
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"En Irak, ce serait absolument impossible, le risque d'attaques ou d'attentats à la bombe est bien trop important", souligne-t-il dans son allemand tout neuf. "Et les bagarres entre supporters d'équipes adverses ne sont pas rares. En Allemagne, les gens sont là pour faire la fête, ce n'est pas violent", ajoute ce jeune homme originaire de la ville d'Al-Hillah.
Pendant l'Euro, il n'a raté aucune rencontre de l'équipe allemande, poussant même jusqu'à la fan zone de Berlin après avoir suivi les premiers matchs grâce à un écran plat en fin de vie, don d'une bénévole, dans son foyer de réfugiés. Arrivé juste avant l'hiver en Allemagne après une tortueuse épopée à travers l'Europe, il ne connaissait rien à ce pays à qui il a demandé l'asile: ni sa langue, ni sa culture, ni l'immense ferveur qui saisit son peuple dès que son équipe de foot entre en scène.
"Pan de la culture"
Or, "le football est un pan de la culture allemande", explique la Hambourgeoise Ines Burckhardt qui en veut pour preuve les stades remplis jusqu'au dernier strapontin les week-ends de championnat, même en plein hiver.
Alors pendant l'Euro, elle a mis sur pied des "Soccer Dinners", des soirées où des Allemands ont partagé avec un réfugié leur canapé et leurs pizzas devant un match de l'équipe nationale. "Cela permet à des réfugiés de côtoyer des Allemands" quand ils ont encore tendance à vivre en vase-clos dans des foyers, ajoute-t-elle. "Et ils voient ainsi que nous ne sommes pas que des êtres sans émotion mais qu'on sait être passionnés", ajoute-t-elle en riant.
Pour de nombreux réfugiés fraîchement débarqués, il y a bien longtemps que les joueurs et le championnat allemands n'ont plus de secrets. "Je suivais les matchs de Bundesliga sur la télé payante en Irak, en particulier les rencontres du Bayern Munich et du Borussia Dortmund", explique Zaïd qui joue désormais dans une équipe de quartier de Berlin.
Au Moyen-Orient, le championnat allemand est l'un des plus suivis, assure également Idrees Khrbotli, un réfugié syrien qui n'a d'yeux lui aussi que pour le plus prestigieux des clubs allemands.
De Jablé au Hertha
"Le Bayern Munich est très connu en Syrie. Comme maintenant j'habite à Berlin, je supporte plutôt le Hertha BSC", le principal club de la capitale, explique-t-il. Malgré les soubresauts de son parcours qui l'a amené à fuir la Syrie en guerre, il n'a pas vraiment changé ses habitudes: "Avant, le vendredi, j'allais voir les matchs de ma ville de Jablé, maintenant le samedi après-midi, je vais voir le Hertha".
Dans le foyer pour migrants, il a commencé à suivre l'Euro avec d'autres réfugiés à la télévision. Mais c'est en sortant dans la rue, le soir de la victoire homérique en quarts de finale contre l'Italie, qu'ils ont compris l'ampleur du phénomène ballon rond en Allemagne.
"Il y avait des voitures qui klaxonnaient tout le temps dans la rue, des gens avec des drapeaux qui criaient, des pétards", raconte Hamed Hosseini, un Afghan qui a fui son pays par crainte de représailles après avoir longtemps travaillé pour les Américains. Mais ce qui l'a plus étonné encore c'est de voir certains Allemands soutenir... l'Italie.
Hamed ignore tout des rapports longtemps compliqués entre l'Allemagne et ses emblèmes nationaux suite au nazisme. Elle n'ose chanter l'hymne national dans les stades que depuis qu'elle a organisé le Mondial 2006.
"Comment est-ce possible? En Afghanistan, tout le monde est pour l'Afghanistan", sourit-il candide.