Poisson méprisé par les gastronomes, le congre peut pourtant rendre de grands services à l'homme: il a été choisi comme objet d'étude pour mesurer la pollution de la baie de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), une zone très densément industrialisée.
Depuis le mois de juin et jusqu'à octobre, une quinzaine de congres, mesurant de 1m20 à 1m50, va être pêchée dans la baie à l'initiative de l'Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, une structure créée par le syndicat d'agglomération d'Ouest Provence.
Objectif de cette pêche: mesurer pour la première fois le taux d'imprégnation de divers polluants sur des organismes vivants de la baie. "Une étude de 2008 a porté sur les sédiments du golfe de Fos, mais il n'y a jamais eu d'étude sur le vivant dans cette zone", indique Philippe Chamaret, directeur de l'Institut écocitoyen.
Poisson exclusivement carnivore, le congre se trouve tout au bout de la chaîne alimentaire. C'est également une espère sédentaire, qui s'éloigne rarement de plus de 100 m de son trou. Il constitue donc le client idéal pour les scientifiques, qui souhaitent disposer de données fiables sur la pollution à proximité des côtes.
L'étude cible des poissons de trois à huit ans, afin de disposer de spécimens dont les organismes ont eu le temps d'accumuler des polluants. Les échantillons tirés de ces poissons seront envoyés à la faculté de pharmacie de la Timone et à des laboratoires privés.
Les analyses permettront de déceler l'éventuelle présence des PCB, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dioxines et furannes, métaux lourds et autres sous-produits de chloration. Les résultats sont attendus début 2013.
"On est vraiment dans l'inconnu, on ne sait pas ce qu'on va trouver", souligne Julien Dron, responsable scientifique de l'étude.
Un lien difficile à établir
L'environnement immédiat de la baie de Fos comprend des sites industriels d'ArcelorMittal, Esso Raffinage, Lafarge Ciments et de multiples autres installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
Selon le site internet de la mairie, Fos-sur-Mer représente également "la deuxième commune de France au nombre d'installations classées soumises à la directive SEVESO".
"On est la région la plus polluée d'Europe: aux particules fines, aux métaux lourds, c'est-à-dire la plus grave des pollutions pour la santé humaine", s'insurge Daniel Moutet, président de l'association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos.
"Depuis deux ou trois ans, nous n'avons plus de naissains de moules (à Fos-sur-mer)", ajoute-t-il, avant de déplorer: "tout le monde sait qu'on est pollué mais il n'y a pas de preuve".
L'étude des congres devrait apporter une base scientifique au débat. Toutefois, "on pourra en tirer une conclusion sur la santé du milieu mais pas sur la santé humaine", explique Philippe Chamaret, de l'Institut écocitoyen. "Le lien entre le congre et l'homme est extrêmement complexe à établir, mais ces données permettront de caractériser le milieu de vie", ajoute-t-il.
L'institut écocitoyen mène parallèlement à son travail sur les congres une étude sur la pollution atmosphérique, en effectuant des prélèvements sous les panaches des sites industriels, et va mesurer en 2013 la "bio-imprégnation humaine", en comparant des prélèvements de sang de 50 à 100 personnes vivant à Fos-sur-mer avec un échantillon moyen du département.