En direct
A suivre

Dictionnaire Tolkien : «beaucoup de gens ont découvert la littérature grâce à lui», explique son directeur Vincent Ferré

Cet ouvrage prend en compte les dernières traductions qui font désormais autorité en France. [© Bragelonne]

Le dictionnaire Tolkien, publié aux éditions Bragelonne, sort sa nouvelle édition, révisé avec les dernières traductions et la prise en compte des adaptations à l'écran qui se multiplient. Une somme unique en son genre que nous détaille Vincent Ferré, spécialiste de l'auteur britannique, et qui a dirigé l'ouvrage.

Il devrait rapidement devenir le livre de chevet de tout fan de J.R.R. Tolkien qui se respecte, et offre une ouverture incomparable sur l'auteur du Seigneur des anneaux, mais aussi sur l'histoire de la Fantasy en général. Que l'on ait lu ou pas les œuvres du père du Hobbit, ou que l'on ait découvert cet univers grâce aux films de Peter Jackson et avec la série Les Anneaux de pouvoir, il y en a pour tous les publics, à travers les plus de 800 pages et 350 notices du Dictionnaire Tolkien.

Le dictionnaire Tolkien est-il un livre unique en son genre ?

Il existait déjà une encyclopédie américaine, mais qui avait une approche très anglophone, qui ne prenait pas en compte le fait que l’œuvre de J.R.R. Tolkien s’adresse désormais au monde entier. Dans le dictionnaire Tolkien, on a une approche très globale et multilingue, qui essaye de rendre compte de tout Tolkien sans se limiter au monde anglais. Les personnages, les lieux, les époques, les thèmes, les motifs biographique, et surtout la diversité des lectures de Tolkien à travers le temps et le monde sont traités dans le livre, par pas moins de 63 auteurs.

Faut-il déjà bien connaître l'œuvre de Tolkien pour s'y intéresser ?

Depuis la première parution du dictionnaire, le but est de laisser à chacun sa façon d’aborder cet auteur et son univers, sans se dire qu'il est réservé à tel ou tel public. Moi-même je ne lis pas de romans de Fantasy, mais j’aime Alexandre Dumas, les romans arthuriens et d'aventure et, de la même façon, j’aime lire Tolkien. On ne cherche pas à en imposer une lecture unique.

J.R.R. Tolkien est un auteur qui appartient à tout le monde

C’est un auteur qui appartient à tout le monde et qu’on ne peut réduire à une étiquette. Car Le Seigneur des anneaux est une œuvre parmi beaucoup d’autres : les plus jeunes peuvent lire Roverandom, les lettres du père Noël ou Le Hobbit, et ceux qui n’aiment pas la Fantasy peuvent lire les contes, comme ceux de Feuille de Niggle. D’autres ne liront que ses lettres et correspondances. Sans compter les milliers de pages de récits se déroulant dans le même univers de la Terre du milieu, comme le montre la série de douze volumes publiés par son fils Christopher sous le titre l’Histoire de la Terre du Milieu.Tous ceux qui apprécient les littératures de l’imaginaire et la littérature médiévale, devraient y trouver leur compte.

Quelles sont les nouveautés de cette édition ?

On y a intégré les traductions de Daniel Lauzon, utilisées depuis 2012 dans toutes les rééditions françaises, et qui correspondent plus fidèlement au texte anglais. Cela concerne en tout plus de 2.000 corrections. On a ainsi placé une table d’équivalence des noms dans le dictionnaire, pour que les lecteurs «anciens» puissent s’y retrouver, comme par exemple la «Communauté de l'Anneau» qui devient, de manière beaucoup plus logique, «la Fraternité de l'Anneau». Des rajouts, des mises à jour ont été faites dans plus d’une dizaine de notices, sur Peter Jackson, les langues, les motifs… On y a ajouté une notice sur la musique classique, qui manquait, et qui aborde la musique de film, une autre sur la nature, qui parle de l’histoire naturelle de la Terre du milieu.

Et puis, de manière inévitable, une notice sur les adaptations, qui sont révélatrices de l’influence du monde de Tolkien, qui est sans équivalent, en donnant presque naissance aussi au jeu de rôle, désormais incontournable. Les premiers jeux informatiques ont souvent eu comme cadre la terre du milieu, sans oublier les films de Peter Jackson, et la série d’Amazon, qui part de l’univers de Tolkien pour se rapprocher plus du jeu vidéo ou de la fan fiction.

En quoi la perception de Tolkien diffère selon les pays, comme en France par exemple ?

Chez nous, pendant de longues années, on a eu - et on a toujours - du mal à catégoriser l’œuvre de Tolkien. Est-ce du fantastique, du merveilleux, de l’épopée ? Encore maintenant, dans de nombreuses bibliothèques, Tolkien est rangé dans la catégorie science-fiction, parce qu’il s’agit de littérature de l’imaginaire. Le terme de Fantasy n’est pas encore acclimaté en français. Quand on parle de lui, comme de Peter Jackson pour les adaptations, on parle d’Héroic Fantasy, alors que ce terme anglophone correspond plutôt à une œuvre comme Conan le barbare. Dans les pays de tradition nordique, ou en Allemagne, et bien sûr en Angleterre, Tolkien se rattache beaucoup plus facilement à une traditon littéraire, celle des sagas, des discours fondateurs de leurs civilisations. 

L'ouvrage offre un savant mêlange de publications «savantes» et de textes plus grand public. Comment avez-vous fixé la balance pour que le dictionnaire soit lisible par le plus grand nombre tout en restant pertinent en terme de recherche universitaire ?

On travaille avec des auteurs qui peuvent faire le lien entre différents pays, le monde anglo-saxon, l’Allemagne, l’Europe dans son ensemble. L’idée était aussi de valoriser tout ce qui peut s’écrire, se faire en France sur Tolkien, et qui est souvent masqué par la production anglaise. Deuis les années 2000, il y a tout un savoir qui est partagé en France, sur les forums de discussons, les blogs, les sites de fans… Des textes en accès libre qui sont de véritables travaux de recherche, d’analyse, pour le simple plaisir de partager. Le dictionnaire Tolkien était donc aussi une occasion d’encourager ceux qu’on appelle les «acafans», à mi-chemin entre le lecteur et le critique. Nous avons pu collaborer avec des associations réputées comme Tolkiendil, Elbakin, où de nombreux fans viennent puiser les informations et discuter. Après avoir publié dans le dictionnaire, les membres de Tolkiendil ont par exemple publié L’encyclopédie du Hobbit

Cartes, langues, peuples, inspirations historiques... sont traités dans le dictionnaire. Au fil de sa lecture, on prend conscience du travail de démiurge réalisé par J.R.R Tolkien. A-t-il donné naissance à un nouveau type d'écrivain, faiseur de monde, comme peut l'être désormais G.R.R Martin et son «Game of Thrones» ?

Ce n’est pas lui qui a inventé la Fantasy, mais plutôt William Morris, a la fin du XIXe, avec des récits d’inspirations médiévales, arthuriennes (qui a d'ailleurs étudié à Oxford, tout comme Tolkien). Mais Tolkien modernise l’invention de la Fantasy, en allant dans le sens de la cohérence et de la vraisemblance. Pour les hobbit par exemple, le fait qu’ils aient des jambes plus courtes modifera les distances parcourues et donc la carte de leur région, au kilomètre près. Ce que veut Tolkien, c’est que les lecteurs ne se disent pas qu’ils sont dans un monde merveilleux, imaginaire, mais qu’ils suspendent leur incrédulité et entrent dans l’histoire. Tolkien fait le pari que la Fantasy, parce qu’elle nous montre le monde sous un jour à la fois reconnaissable et à la fois différent, nous amène en retour à regarder notre monde, y compris son environnement naturel, sous un autre regard.

Le dictionnaire aborde aussi les valeurs véhiculées par les œuvres de Tolkien, et les débats autour des idées politiques qu'il aurait voulu y placer, soit pour le valoriser, soit pour y déceler des idées conservatrices, voire rétrogrades. Qu'en disait-il lui-même ?

Dans les années 1960-70, alors que le succès du Seigneur des anneaux est devenu mondial, Tolkien devient un symbole du pacifisme, un étendard de la génération anti-guerre du Vietnam, principalement sur les campus américains. Tolkien est évidement dérouté, car il ne s’attendait pas à ce genre de lecture et de succès, lui qui avait plutôt écrit ce livre pour ses amis et ses enfants. Mais il a toujours expressément dit que les lecteurs pouvaient faire l’interprétation qu’ils voulaient du Seigneur des anneaux, et qu’il ne contenait pas de message caché. Mais à la lecture, on y voit une forme d’éloge de la découverte des peuples les uns par les autres, un dépassement de la différence et de la méfiance, un plaidoyer en faveur de la fraternité.

Le Seigneur des anneaux est un appel au respect des différences

On a quand même au début de l’histoire un puissant magiciens et deux grands guerriers humains, des hobbits qui semblent inoffensifs, et un nain et un elfe se regardant en chien de faïence. Et tous devront dépasser leurs contentieux. C’est un appel au respect des différences. Au-delà du contenu, Tolkien est un des rares auteurs qui permet de dialoguer, de partager, entre des personnes qui n’ont pas forcément les mêmes opinions, y compris politiques. On n’échappe pas à toutes les querelles, mais c’est un auteur qui, avant tout, permet de rassembler, entre les générations. C’est un véritable succès populaire, beaucoup de gens ont découverts la littérature avec lui, ont traversé des expérience de vie avec lui. Son œuvre est même valorisée par des pédopsychiatres, qui vantent sa capacité à aider à surmonter la peur et l’expérience de la mort par exemple. C’est un tout dont ce dictionnaire essaye de rendre compte.

Selon vous, qui avez pu collaborer avec Christopher Tolkien, avant son décès en France en 2020, et avoir accès à ses archives, existe-t-il encore une matière, des archives, qui peuvent encore être exploitées et publiées, où la matière originale est-elle épuisée ?

Malheureusement pour tous les fans, Christopher Tolkien avait le sentiment d’avoir publié tout ce qui méritait d’être publié comme récit relatif à la Terre du Milieu. Il a par contre encouragé la publication d'autres aspects de l'oeuvre de son père, comme celui qui sort en septembre en langue anglaise, trois tomes de poèmes de J.R.R. Tolkien rassemblés et étudiés par des spécialistes. 

Malheureusement pour les fans, tout ce qui pouvait être publié sur la Terre du Milieu l'a été

D'ailleurs on aurait pu appeler l'ouvrage Dictionnaire TolkienS, tant son fils Christopher a œuvré à rendre publiable une immense part des écrits de son père. C’est lui qui a hérité de la responsabilité de publier les productions inédites de son père, qui n’avait édité de son vivant que le Hobbit et le Seigneur des anneaux. Pendant des années, il a respecté le testament de son père, à savoir «publier, achever ou détruire les archives» de son père. Il a ainsi publié le Silmarillion, les nombreux tomes de L’Histoire de la Terre du Milieu, les poèmes nordiques… En tout une vingtaine d’ouvrages ! Il n’a cessé durant quarante ans de travailler sur cette immense matière. Le Silmarillion par exemple est réellement co-écrit entre le fils et son père. J’ai la chance de pouvoir travailler sur les archives de Christopher Tolkien, d’une modestie immense, ce qui permet de se rendre compte à quel point certaines œuvres lui doivent autant qu'à son père, qu’il s’agisse de poèmes, de récits, de livres savants… Cette collaboration littéraire entre JRR et son fils est reconnue comme étant unique dans l’histoire de la littérature. Le dictionnaire rend bien compte de ce double apport dans la production littéraire.

Difficile de parler de Tolkien sans parler de la série des Anneaux de pouvoir, dont la saison 2 arrive sur les écrans. À quel public s'adresse-t-elle, après avoir subi de nombreuses critiques venues des fans de l'oeuvre de Tolkien ?

Pour moi, ça n’est pas du tout une adaptation comme peuvent l'être les films de Peter Jackson. Cette série se base en effet uniquement sur deux pages du Seigneur des anneaux. Les showrunners ont inventé des personnages, des événements, en ont modifié d'autres comme Galadriel, pour en faire autre chose. Cette série peut bien entendu faire plaisir aux fans de Tolkien, mais pour ceux qui n’ont jamais lu ses œuvres, ils doivent être conscient qu’il ne s’agit pas du tout de Tolkien. La série fait en effet des entorses à ce principe de cohérence et de vraisemblance si cher à l'auteur. Lui qui s’éfforçait d’avoir une chronologie minutieuse, jour par jour, les showrunners ont décidé de rapprocher la création des anneaux vers 1500 du 2e âge, de la destruction de l'île de Numenor, qui arrive plus de 1.500 ans après. Ils l’ont clairement évoqué, c'est dans le but de satisfaire le public.

C’est une création proche du jeu vidéo, qui représente une industrie dont on mesure mal l'importance commerciale. La série est tellement autre chose qu’une adaptation, c'est plus un produit qui doit correspondre à l’air du temps, surtout américain, en terme de représentativité, d’inclusion, une façon d’aborder un produit à la Disney, où l’on segmente le marché, avec des personnages pour les enfants, des monstres… On se rapproche plus de Star Wars que du Seigneur des Anneaux. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas qu’on puisse y trouver du plaisir ! Malheureusement, la quantité, me semble-t-il, a prévalu sur la qualité : la série a été vendue en mettant en avant les exploits technologiques, 1.500 artistes ayant travaillé pendant plus de trois ans sur les effets, en ayant produits des milliers de photos pour scanner les arbres… Au final, les codes des blockbusters sont tellement intégrés et ingérés par tous qu’on peut prédire ce qui se passera, à l'image du combat entre Galadriel et le troll des glaces, qui ressemble plutôt à un duel du jeu Mortal Kombat auquel je peux jouer avec mes enfants...

Dictionnaire Tolkien, sous la direction de Vincent Ferré, nouvelle édition illustrée, ed. Bragelonne, 816 p., 39,95 €.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités