Disparue il y a vingt-cinq ans, la chanteuse Barbara a laissé derrière elle quelques-unes des plus belles chansons du répertoire français, dont les textes parfois mystérieux n’ont pris tout leur sens qu’à sa mort. Parmi eux, le célèbre «L'Aigle noir» n’était pas, comme on a pu le penser, une métaphore de la barbarie nazie, mais celle du drame de sa vie : l’inceste dont elle a été victime dans son enfance.
«Un beau jour, ou peut-être une nuit... », tout le monde connaît bien la chanson, du moins pense bien la connaître. Mais nombreux sont encore ceux qui ignorent que «L’Aigle noir» de Barbara cache en son texte métaphorique un terrible événement traumatique, qui a marqué à jamais son interprète, et ce n'est pas celui qu'on a longtemps cru.
L’oiseau aux yeux couleur rubis, aux plumes couleur de la nuit, au front brillant de mille feux et qui portait un diamant bleu, n’était pas comme on a pu le penser la réminiscence d'un rêve étrange ni la métaphore de la dictature nazie. Et il aura fallu attendre les mémoires de la chanteuse, «Il était une fois un piano...», publiées un an après sa mort en 1997, pour comprendre que «l’aigle noir» en question était en réalité son père, un père qui a commencé à la violer quand elle a eu 10 ans.
Sans utiliser explicitement les mots «viol» ou «inceste», la chanteuse était revenue sur l'horreur de ce qu'elle avait subi, à laquelle s'était ajoutée celle de ne pas avoir été entendue, à fortiori pas reconnue ni aidée, en tant que victime : «J’ai de plus en plus peur de mon père. Il le sent. Il le sait. (...) Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. Parce qu’on les soupçonne d’affabuler. Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent coupables. Parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls au monde avec leur terrible secret», avait-elle écrit.
La musique comme bouée de sauvetage
Barbara avait ajouté : «J’ai tellement besoin de ma mère, mais comment faire pour lui parler ? Et que lui dire ? Que je trouve le comportement de mon père bizarre ? Je me tais». Quelques années plus tard, Monique Serf, de son vrai nom, tentera de se défaire du poids de ce «terrible secret» en se rendant à la gendarmerie. Hélas, son père viendra l’y chercher et fera en sorte - modus operandi courant des agresseurs - de décrédibiliser son témoignage en la traitant d’affabulatrice.
Ces révélations contenues dans ses mémoires ont soudain donné un tout autre sens aux paroles de «L’Aigle noir». «De son bec, il a touché ma joue./Dans ma main, il a glissé son cou./C’est alors que je l’ai reconnu/Surgissant du passé/Il m’était revenu...».
Bien que rien n’ait pu la guérir de cette souffrance, elle écrira avoir eu envie de dire à ce père incestueux que s'exprimer à travers la musique l'avait aidée à ne pas sombrer : «Tu peux dormir tranquille, je m’en suis sortie puisque je chante. Sûr, il m’a fallu un sacré goût de vivre, une sacrée envie d’être heureuse, une sacrée volonté d’atteindre le plaisir dans les bras d’un homme, pour me sentir un jour purifiée de tout, longtemps après».
Punis par la loi, les abus sexuels, en particulier sur les mineurs, ont des conséquences dévastatrices. Un Français sur dix dit avoir été victime d'inceste. Il est important de faire savoir aux enfants que s'ils y sont un jour confrontés, il est essentiel qu'ils se confient à un adulte de confiance (un parent, une tante, l’assistante sociale du collège, le CPE etc.…) qui pourra entreprendre les démarches nécessaires pour faire cesser leur calvaire et pour que leur soit prodigués des soins médicaux et psychologiques, ou à défaut qu'ils appelent le 119 (Allo Enfance en Danger).