Le jury du prix Goncourt lançait le 29 octobre dernier un grand mouvement en reportant son prix, dans l'attente de la réouverture des librairies. Qu'en est-il désormais ?
L'espoir est au bout du mois de novembre. Le Renaudot, le grand prix de l'Académie française, l'Interallié, le prix Décembre... Excepté le prix Fémina et le prix Médicis, nombre de jurys des prix littéraires de cette saison d'automne avaient emboîté le pas à l'Académie Goncourt. Malgré ce geste symbolique et une pétition en ligne signée ce jour par plus de 200 000 personnes, le gouvernement n'a pas semblé ciller. Les librairies sont toujours fermées et tous les rayons «non essentiels» des grandes surfaces, dont ceux des livres, ont même, à leur tour, fermé, provoquant une vague d'indignation chez les amateurs de littérature.
Ce 10 novembre, et alors que le prix Goncourt aurait dû être annoncé ce jour, le jury semble pourtant optimiste. «Il n'est pas question d'annuler le Goncourt, ni de le reporter à 2021. Les académiciens attendent les annonces du président Macron prévues en fin de semaine. Si la situation s'arrange sur le plan sanitaire et que les librairies sont autorisées à rouvrir, alors les différents prix harmoniseront leurs dates de remise autour de fin novembre», explique Françoise Rossinot, déléguée générale de l'Académie Goncourt.
Pour Didier Decoin, l'actuel président du jury de l'Académie Goncourt, «il n'est pas question de repousser la remise du prix aux calendes grecques car c'est à Noël que les libraires font leur plus important chiffre d'affaire. En janvier, ce serait la moutarde qui arrive après le rôti».
Le Goncourt sous le sapin
«C'est un report symbolique. Les libraires auront le prix Goncourt 2020 pour les fêtes», assure Françoise Rossinot. «Le Goncourt a été suspendu pendant la Seconde Guerre mondiale pour des raisons évidentes. Il n'y a pas lieu cette année que le Goncourt soit annulé. On a voulu faire un geste pour les libraires, leur montrer que nos paroles sont suivies par des actes», indique le président du jury.
Les libraires auront le prix Goncourt 2020 pour les fêtes.Françoise Rossinot, déléguée générale de l'Académie
Pour la déléguée générale de l'Académie, ce report aura certainement un effet bénéfique : «les gens soutiennent désormais les libraires. Il fallait voir les files d'attente devant ces enseignes la veille du confinement. Je crois qu'il y a eu une prise de conscience. Pour la première fois, les gens sont sensibilisés au sort des libraires, à l'importance du livre. Le peuple français est généreux et passionnel. Et les libraires n'auraient pas profité de la remise du prix sans cette prise de position du jury assez médiatique. »
Selon l'ancienne journaliste, «après un mois de confinement strict, les librairies pourraient profiter enfin de "l'effet Goncourt", et ce, possiblement fin novembre ou début décembre». Dans le pire des scénarios, si le confinement perdure, le prix sera de toute façon décerné avant les fêtes de fin d'année.
Didier Decoin se veut pragmatique en comparant à David contre Goliath, les libraires contre les plate-formes en ligne : «il fallait être cohérent. On n'allait pas donner un coup de pouce à Goliath».
Le monde littéraire délaissé par le gouvernement ?
«On ne voulait pas lancer une révolution. Le gouvernement fait ce qu'il peut face à un virus qui tue, il ne faut pas l'oublier», tempère le romancier. «Mais j'ai été étonné qu'aucun ministre ne convoque aucun responsable des jurys littéraires. Personne ne nous a prévenus. Nous sommes traités comme de la crotte de pigeon», s'indigne celui qui est entré à l'Académie Goncourt il y a 25 ans. «C'est le silence radio total. Un coup de fil n'aurait certainement rien changé mais on aurait eu le sentiment d'avoir quelqu'un vers qui se tourner. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas entre la sphère politique et la sphère littéraire», déplore-t-il avant de noter un changement de style : les Présidents Mitterrand et Chirac auraient, eux, plusieurs fois déjeuné avec le jury, ce qui ne serait pas le cas avec les derniers résidents de l'Elysée.
Pour l'auteur de «John l'enfer» (Prix Goncourt 1977), «tout cela relève d'un grand mépris. Et il restera des traces au moment de déposer des bulletins dans les urnes».
Il n'y a pas plus de risque à aller s'acheter un livre que son pain.Didier Decoin, président du jury de l'Académie Goncourt
Malgré tout, l'auteur garde le sens de la formule : «on ne met pas les livres en salade, certes. Mais pour moi - et peut-être parce que j'aime lire - la littérature est essentielle. Je continue à penser qu'il y a eu une erreur de tir dans la décision du gouvernement. Il serait temps de revenir à une meilleure appréciation des choses. On marche sur la tête : il n'y a pas plus de risque à aller s'acheter un livre que son pain».
Un prix politique ?
En attendant, le président du jury se dit prêt, lui et les autres membres du jury, à annoncer le nom du gagnant ou de la gagnante. «Notre dernière sélection a été rendue. Et ce n'est pas une année à livres politiques. Cette histoire n'aura pas d'influence sur nos délibérations », indique Didier Decoin. Seule chose à déplorer pour cet amoureux du genre humain : un vote par visio-conférence et pas de grand rassemblement devant chez Drouot, le restaurant où des centaines de journalistes s'amassent traditionnellement chaque année en attendant l'annonce du jury et la venue du lauréat ou de la lauréate.
Les quatre livres encore en lice sont : l'archi-favori «L'anomalie» d'Hervé Le Tellier (Gallimard), «Thésée, sa nouvelle vie» de Camille de Toledo (Verdier), «L'historiographe du royaume» de Maël Renouard (Grasset) et «Les impatientes» de Daïli Amadou Amal (éd.Emmanuelle Collas). verdict en attente.