L'écrivaine canadienne Margaret Atwood présente à Londres «Les Testaments», suite très attendue de «La Servante Ecarlate», une dystopie misogyne terrifiante qui s'est érigée en véritable manifeste féministe à l'ère du mouvement #MeToo.
Son oeuvre est «un avertissement» sur les violences faites aux femmes, «sur ce qui pourrait arriver», a dit à l'AFP Melisa Kumas, Néerlandaise de 27 ans qui assistait lundi soir au lancement du livre dans une librairie londonienne, toute de rouge vêtue pour rappeler l'uniforme des Servantes.
Margaret Atwood «me pousse à devenir plus consciente de la politique qui m'entoure, à faire plus attention à l'actualité... pour m'assurer que le pire n'arrive pas», a-t-elle ajouté, avant d'aller écouter en avant-première la romancière de 79 ans lire, de vive voix, des extraits des «Testaments».
Sélectionné pour le Booker Prize 2019
Ce second tome, mis en vente mardi, promet d'être un immense succès : il a été sélectionné pour le Booker Prize 2019, prestigieuse récompense littéraire britannique et son adaptation en série est déjà en cours.
Il suit la voie de son prédécesseur, dont la série à succès diffusée en 2017 a relancé les ventes, qui ont atteint les huit millions de copies dans le monde pour l'édition anglaise. La traduction française des «Testaments» paraîtra le 10 octobre.
Imaginez les Etats-Unis devenus «République de Gilead», un Etat totalitaire théocratique où les dirigeants violent, lors de cérémonies religieuses - et avec l'aide de leurs épouses - les femmes qui peuvent procréer (les Servantes) pour ensuite garder leurs nouveaux-nés.
Dans ce sombre tableau, une femme tente de rester en vie : June. Dans le premier tome, c'est elle qui fait découvrir, à travers un monologue angoissant, cette dictature misogyne, où on lui impose le rôle de Servante et lui retire celui de mère.
Car June a deux filles, mais aucun droit sur ces dernières. La première est placée dans une famille, tandis que la seconde sera finalement sauvée et envoyée au Canada.
«Les Testaments» raconte leur histoire, quinze ans plus tard : à Gilead, chez Agnes, «précieuse fleur» éduquée dans la culpabilisation, entre cours de broderie et mariages forcés ; au Canada, chez Daisy, ado qui va vite regretter d'avoir trouvé sa vie trop ordinaire.
Mais c'est surtout la voix d'une troisième narratrice qui tient en haleine le lecteur : Tante Lydia, cheffe machiavélique des «Tantes», ce groupe de femmes chargées d'asservir leurs concitoyennes fertiles, torture à l'appui.
Au fil des chapitres, le lecteur découvre son passé de femme libre et les étapes de sa transformation en monstre, construit par instinct de survie face à des hommes tyrans, mais aussi par aspiration au pouvoir... jusqu'à devenir assez puissante pour faire trembler, à son tour, ceux qui la dominent.
35 ans séparent les deux opus
Margaret Atwood aura mis près de trente-cinq ans à imaginer cette suite à trois voix, qui révèle les failles du système de Gilead, inspirée par les questions que lui posaient ses lecteurs.
«Trente-cinq ans laissent largement le temps de réfléchir aux réponses possibles, lesquelles ont évolué à mesure que la société elle-même évoluait et que les hypothèses devenaient réalité», écrit-elle à la fin du livre.
«Les citoyens de nombreux pays, y compris ceux des Etats-Unis, subissent aujourd'hui des tensions bien plus fortes qu'il y a trois décennies», souligne-t-elle.
«La Servante Ecarlate», déjà un gros succès à sa sortie en 1985, s'est érigé en véritable manifeste féministe des temps modernes après son adaptation en série en 2017 qui lui a permis de toucher un nouveau public.
Comme Debbie Wythe, Anglaise de 57 ans, qui confiait à l'AFP lors du lancement des «Testaments» être devenue «très féministe récemment», et notamment après avoir visionné la série. «Voir des personnages féminins forts à l'écran» l'inspire. Et elle n'est pas la seule.
Etats-Unis, Argentine, Irlande, Pologne, Hongrie... Les «servantes écarlates», vêtues de capes rouges et bonnets blancs, sont devenues «un symbole immédiatement reconnaissable» dans les combats féministes, comme lors des manifestations pour défendre le droit à l'avortement, se réjouissait Margaret Atwood en 2017.