Dans le thriller psychologique «Greta» actuellement en salles, Isabelle Huppert incarne une femme machiavélique. Un rôle terrifiant pour lequel elle démontre de nouveau l'étendue de son talent.
Une beauté glaciale, une personnalité fascinante et une maîtrise parfaite du jeu... la muse de Claude Chabrol - et de tant d'autres réalisateurs renommés - compte parmi les actrices les plus douées de sa génération. Cette rousse passionnée par son art et qui aime cultiver le mystère, ne se fixe aucune limite quand il s'agit de jouer un personnage au cinéma ou sur les planches. La preuve dans le nouveau film de l'Irlandais Neil Jordan, «Greta». Dans la langue de Shakespeare, Isabelle Huppert se glisse dans la peau d'un professeur de piano, à New York, qui se lie d'amitié avec Frances (Chloë Grace Moretz), une jeune femme en perte de repères après le décès de sa mère. Une amitié qui va rapidement se révéler totalement toxique.
Qui est Greta, le personnage que vous incarnez ?
C’est une sorcière, l’incarnation du mal absolu. C’est toujours amusant de jouer des personnages terrifiants dont on ne sait pas trop quoi en penser dans un premier temps, et qui se dévoilent au fur et à mesure des scènes.
Elle a aussi un fort potentiel comique…
Je savais comment Neil Jordan (le réalisateur, ndlr) souhaitait mettre en scène ce film, mais ce potentiel n’était pas forcément perceptible à la lecture du scénario. Cela apporte beaucoup de liberté quand il y a un second degré permanent. Outre ces moments comiques, «Greta» renferme aussi plein de scènes où nous sommes dans la tragédie ou dans l’excès.
C’est un nouveau rôle en anglais. Cela a-t-il modifié votre manière de jouer ?
Je ne me voyais pas jouer ce personnage en français. J’avais l’impression que cela l’aurait alourdi. Le fait de tourner en anglais permettait de donner à Greta une forme plus théâtrale, plus affectée. Quand on ne joue pas dans sa langue, on joue différemment. Un exercice qui peut à la fois être contraignant et donner beaucoup de liberté.
Dans «Greta», la musique est un personnage à part entière.
C’est une très bonne idée qui n’était pas présente dans la première version du scénario. Cela nous emmène vers une fausse piste. Quelqu’un qui joue du piano et se laisse emporter par la musique renvoie l’image d’un être sensible qui aurait son jardin secret. Cela lui confère une forme d’émotion. Quand on s’aperçoit ensuite ce que cache l’instrument, c’est très amusant.
Connaissiez-vous le travail de Neil Jordan ?
Comme la plupart des gens, je le connaissais surtout pour deux de ses films : «The crying game» (1992) et «Entretien avec un vampire» (1994). C’est un homme assez inattendu et sensible. Avec «Greta», il avait de la distance, de l’intelligence et de l’humour par rapport à son sujet.
Vous donnez la réplique à Chloë Grace Moretz. Comment s’est passée votre collaboration ?
Chloë a la même manière que moi d’envisager ce métier, sans se poser de questions, ni en poser aux autres. Ce fut une collaboration facile. Elle est charmante, sensible, bonne actrice, et possède des qualités techniques indéniables. Je n’avais rien à lui apprendre.
Être actrice ne me demande aucun effort. C'est un état.
Sur un plateau, vous est-il déjà arrivé de refuser de tourner une scène ?
C’est rare qu’un metteur en scène me demande de jouer une scène qui ne serait pas la manière dont j’ai envie de la jouer. En tout cas, pas les réalisateurs avec lesquels je tourne et qui ne seraient pas dignes de ce nom, à ce moment-là.
Vous étiez récemment sur les planches à New York pour la pièce «La mère» de Florian Zeller, de passage à Cannes, en mai, pour le film «Frankie» d’Ira Sachs, et vous jouez actuellement Mary Stuart dans «Mary said what she said» de Robert Wilson au Théâtre de la Ville, à Paris. Ne ressentez-vous jamais le besoin de ralentir le rythme ?
Ce n’est pas une nécessité pour moi de multiplier les projets. C’est la vie, tout simplement. Je n’ai jamais déployé ma vie d’actrice d’une manière réfléchie. Pour beaucoup de comédiennes, il y a des hauts et des bas. Vous pouvez jouer dans trois films en peu de temps, et ne plus en tourner pendant six mois. J’ai enchaîné - ce qui est rare pour moi au théâtre - les pièces de Florian Zeller et de Bob Wilson car j’avais envie de les faire. Ce sont deux aventures totalement différentes l’une de l’autre.
Considérez-vous votre métier d’actrice comme un travail ?
Le travail implique une notion d’obligation. Etre actrice ne me demande aucun effort. C’est un état. Quand on tourne des films avec autant de plaisir, cela dépasse le simple fait de travailler.
Vous ne restez pas habitée par vos personnages ?
Non, pas du tout. Une fois que le film est en boîte et sorti, cela ne m’intéresse plus et je passe à autre chose.
Regardez-vous les films dans lesquels vous avez tournés ?
Je les ai tous vus au moins une fois, même si ce n’est pas toujours agréable de se découvrir à l’écran. C’est assez intéressant de revoir les films longtemps après leur sortie car nous avons soudainement un regard plus objectif sur soi et sur le long-métrage. Mais je ne pense pas que ce soit vraiment intéressant. Un film sur lequel nous avons travaillé n’a pas la même fonction dans sa vie qu’un film que nous regardons. Cela s’inscrit dans une mémoire d’acteur et non de spectateur.
Envisagez-vous, un jour, de passer derrière la caméra ?
Cela me paraît très loin de moi. Je n’en ressens pas le besoin. Si je devais réaliser un film, ce serait par curiosité plutôt que par nécessité. Mais je ne suis pas certaine de pousser la curiosité jusqu’à le faire.
Allez-vous souvent au cinéma ?
Pas aussi régulièrement que je le souhaiterais. Je vais en revanche beaucoup au théâtre car j’ai ce sentiment d’éphémère. Un spectacle s’arrête après quelques dates et disparaît, alors qu’un film peut être enregistré et rediffusé, ce qui me laisse encore une chance de le voir.
Y a-t-il un rôle que vous rêvez d’interpréter ?
Je n’ai pas de fantasme sur les rôles. Ils ne m’intéressent que par le prisme du réalisateur.
Quelle relation entretenez-vous avec le temps qui passe ?
Cela dépend des jours. Parfois, je me dis qu’il passe trop vite. Pourtant, il est plutôt clément avec moi. Je m’estime très privilégiée.