«Je n'irai pas à Angoulême», où a débuté jeudi le 44e festival international de la bande dessinée, confie le dessinateur Luz, un survivant de la tuerie de Charlie Hebdo, n'imaginant pas rencontrer ses lecteurs entouré des policiers qui continuent de le protéger.
«Aller à Angoulême entouré d'une nuée de flics, ce n'est pas possible. Je ne me sentirais pas bien. Ça serait mentir aux lecteurs en leur disant: 'Je suis un auteur libre'», explique Luz, en accueillant l'AFP chez son éditeur, Glénat, près de Paris, à l'occasion de la sortie de «Puppy», histoire d'un chiot revenu d'entre les morts.
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En fait, ajoute Luz, «je ne suis absolument libre que chez moi lorsque je dessine». Plus de deux ans après l'attentat qui a coûté la vie à plusieurs de ses amis, parmi lesquels Charb et Cabu, le dessinateur, âgé de 45 ans, vit toujours sous la protection de la police.
Toute la vie quotidienne est devenue effroyablement compliquée. Chaque semaine, Luz doit détailler son agenda aux policiers chargés de sa protection. Aucune sortie impromptue n'est possible.
Deux voitures banalisées de la police, avec leur chauffeur à l'intérieur, sont garées devant l'entrée de l'immeuble où siège sa maison d'édition. Dans le hall d'accueil, deux agents en civil sont présents. Avant la venue de Luz, les locaux ont été minutieusement inspectés par un agent spécialisé, raconte son éditeur. «Ça s'améliorera peut-être», veut croire le dessinateur.
Pas de séance de dédicace
«Puppy», une BD sans parole, en noir et blanc dont le héros est un petit chien zombie, est un livre qui devra «se défendre par lui-même». Pas de séances de dédicaces, pas de rencontres prévues avec les lecteurs.
«J'ai fait quelques dédicaces au Musée d'art et d'histoire du judaïsme (au moment de la sortie l'an dernier de 'Ô vous frères humains', d'après l'oeuvre d'Albert Cohen, ndlr) le soir d'un vernissage», se souvient l'auteur à la vie bouleversée.
«C'était super, c'était génial», dit-il avec nostalgie. «Ça me manque de ne plus pouvoir dessiner des bêtises sur les couvertures, de discuter avec les lecteurs et de partager», ajoute-t-il en souriant tristement.
Désormais le "dialogue" avec les lecteurs se fait "par bouquins interposés". De la même façon, Luz, qui outre son travail de dessinateur faisait régulièrement des chroniques musicales dans Charlie ou ailleurs, ne fréquente plus les salles de concerts. Quand on le lui fait remarquer, ses yeux s'embuent un instant.
«J'ai essayé de faire une oeuvre joyeuse»
«Je n'ai pas envie d'être un pleurnichard», se défend-il face à ceux qui l'accusent d'écrire désormais des albums «trop tristes». «La mélancolie, la tristesse, le deuil, c'est aussi un terrain propice à l'imaginaire. J'aime bien l'idée d'être volatile, aussi volatile que l'imaginaire».
L'écriture de «Puppy» a commencé bien avant l'attentat du 7 janvier 2015. «C'est l'album d'une rencontre entre moi et le cimetière des chiens d'Asnières». Une quarantaine de planches étaient prêtes quand est survenu l'attentat. «J'ai essayé de faire une oeuvre joyeuse», dit Luz. Et c'est vrai qu'on sourit parfois en suivant les mésaventures de ce jeune chien innocent, joueur et peureux.
On est frappé aussi par l'extrême solitude du chiot errant dans le cimetière à la recherche de ses amis disparus. Impossible de ne pas dresser un parallèle avec l'histoire tragique du dessinateur quand Puppy passe devant une tombe marquée Charlie.
«J'avais dessiné cette planche avant» l'attentat, affirme le dessinateur. «Fallait-il effacer le nom inscrit sur la tombe? Je me le suis demandé. Finalement, je me suis dit que si je revenais en arrière, si j'effaçais ce Charlie j'étais à la merci d'une injonction du genre 'Attention! ça va être mal compris, mal interprété'».
«C'est extrêmement dur de penser que tout le travail que je ferai sera lu à lumière de ce que j'ai vécu», estime Luz qui souligne: «le mot que j'utilise le plus c'est avancer».