Terme aujourd'hui galvaudé par de nombreuses sociétés liées aux nouvelles technologies, l'intelligence artificielle nourrit toutefois de nombreux fantasmes.
Alors que le salon Viva Technology s'apprête à ouvrir ses portes à Paris du 16 au 18 mai prochains, nous avons interrogé l'un des scientifiques français les plus pointus du domaine : Olivier Bousquet. Directeur du centre de recherche sur l'intelligence artificielle de Google en Europe, il imagine un avenir où les machines sont au service de l'homme.
Comment définissez-vous l’intelligence artificielle ? Peut-on vraiment parler d’intelligence ?
En tant que scientifique, le terme n’est en effet pas très bien choisi, puisqu’il donne lieu à de nombreux fantasmes. De manière pragmatique, l’IA est la science de faire effectuer à des machines des tâches qui relèvent de l’intelligence humaine.
Mais aujourd’hui, lorsqu’on parle d’IA, on fait référence au machine learning, la technologie qui a explosé ces dernières années. Il s’agit d’une nouvelle façon de programmer les ordinateurs. Celle-ci permet de leur faire effectuer une série de tâches complexes, pour lesquelles nous ne sommes pas capables de donner une série d’instructions précises.
A l’inverse de la programmation classique, on va montrer à l’ordinateur des exemples de tâches à effectuer, pour qu’il génère un programme. Celui-ci va alors fournir un résultat en fonction de la demande ou de l’information qui lui est soumise.
Quels espoirs porte l’intelligence artificielle ?
En réalité, on peut décliner l’IA pour de multiples domaines. Par exemple, pour la préservation de l’environnement. Une grande partie du travail consiste à répertorier les espèces et à compter le nombre d’individus dans une espèce particulière. Habituellement, des scientifiques vont sur le terrain et recensent les animaux qu’ils voient. Cette tâche fastidieuse peut également s’automatiser, avec la reconnaissance des formes des animaux pour les identifier.
De même, pour la déforestation, certains ont mis au point des capteurs capables de détecter des bruits de tronçonneuses dans la forêt amazonienne, afin de prévenir les autorités.
Autre exemple, la santé. Une partie du travail d’un médecin implique de diagnostiquer une maladie à partir d’une image (échographie, radio…). Il y a ici, l’idée d’une entrée et d’une sortie pour la machine. L’entrée étant l’image et la sortie, le diagnostic. Donc si l’on a une base de données avec des patients sains et malades, il va être possible d’entraîner un système à comparer et à reconnaître à partir de l’image, un motif particulier ou une indication qui permettent d’établir un diagnostic.
Votre laboratoire IA travaille notamment sur la santé, pouvez-vous nous expliquer la teneur de vos travaux ? Une IA pourrait-elle un jour trouver une solution contre le cancer ?
Il ne faut pas oublier que l’IA est avant tout un outil. Tout dépend de la capacité que l’on a de poser la bonne question à l’ordinateur. Nous travaillons notamment sur l’analyse d’images médicales. A Paris, nous étudions la génomique, en lien avec le cancer, notamment.
Nous essayons de comprendre les liens entre le génome de l’individu, en étudiant la présence de certains gènes et certains risques particuliers. Surtout, nous travaillons sur la génomique de cellules individuelles. Celle-ci intervient lorsqu’on fait une biopsie sur une tumeur, cela oblige à un séquençage de plusieurs millions de données. Ici nous en sommes encore au niveau de la recherche fondamentale. Nous sommes encore très loin de mettre en œuvre des traitements.
Dans un autre laboratoire, nous étudions le fond de la rétine, afin de détecter les signes avant-coureur de la rétinopathie diabétique. Ici, nous sommes déjà avec un outil fonctionnel déjà au moins aussi fiable qu’un médecin expérimenté, voire plus fiable, car nous pouvons entraîner l’IA sur une plus grande quantité de données que pourrait voir un médecin dans sa vie.
Il faut penser ici à une échelle internationale, car certains pays possèdent de nombreux médecins spécialisés, tandis que d’autres sont plus démunis. En outre, même pour les médecins spécialisés, ce type d’IA permet de gagner du temps et de se focaliser sur les cas difficiles. Cela ne remplace pas le médecin qui va adapter le choix du traitement, mais cet outil pourra l’aider, voire minimiser le risque d’erreur. Nous mettons actuellement en place des partenariats, comme celui avec l’Institut Curie.
De nombreux métiers vont émerger, comme ce fut le cas avec l'arrivée d'InternetOlivier Bousquet
Quels métiers seront liés à l’IA à l’avenir ?
Divers métiers seront liés aux capacités de comprendre et programmer une IA. Les métiers liés à l’analyse de données aussi, comme les data scientists. Au-delà, de nouvelles professions vont apparaître, comme ce fut le cas avec l’arrivée d’Internet, où de nombreux métiers ont émergé.
Quelle éthique faut-il développer pour empêcher les excès ?
Sur les 5 à 10 dernières années, l’intelligence artificielle est devenue plus tangible, avec de nombreuses applications. Et la confrontation de cette technologie à la pratique a vu émerger de nombreuses questions, comme la protection de la vie privée ou l’équité. C’est une problématique de premier plan.
Chez Google, nous avons mis en place des procédures. Nous avons publié nos principes de l’IA (être bénéfique à la société, éviter de créer ou de renforcer un parti pris injuste, être conçue et testée pour la sécurité, faire face à ses obligations…). Il s’agit de bonnes pratiques qui doivent accompagner nos scientifiques et développeurs à toutes les étapes de développement d’une IA. Nous faisons intervenir un comité, pour s’assurer que l’IA développée suive ces principes.
Que pourra apporter une IA à un foyer dans la prochaine décennie ?
On peut aujourd’hui parler à son téléphone, qui est capable de traduire le son en texte. Toutefois, l’assistant ne comprend pas tout et notamment le contexte d’une phrase. Selon moi, l’évolution à venir dans les cinq prochaines années est de rendre la compréhension et les interactions beaucoup plus naturelles, pour que nous n’ayons pas à nous adapter à la technologie, mais que ce soit plutôt l’inverse.
Quand une IA sera-t-elle capable de remplacer l’homme ?
Je ne me risquerai pas à faire des prédictions pour les décennies à venir. L’IA fait déjà beaucoup mieux que l’homme dans certains domaines. Elle peut battre des champions du monde aux échecs et au go, ou encore faire des diagnostics médicaux mieux que des médecins, dans certains cas précis. Toutefois, souvent quand une IA a fait mieux, c’est parce qu’on a exploité une stratégie très différente de celle de l’humain. Ça ne veut donc pas dire qu’on a une machine qui a les attributs d’un homme.
Certains aspects sont tout de même surprenants. Notamment portant sur la créativité. Un domaine que l’on pourrait penser être l’apanage de l’homme. Or, certaines IA peuvent générer quelque chose qui ressemble à de l’art.
Cependant, pour l’instant, nous sommes encore très loin d’avoir une machine autonome, douée de conscience ou aussi adaptable ou généraliste qu’un cerveau humain.