Voilà treize années que nous avions laissé la belle Kate Walker dans son aventure glaciale au cœur de Syberia. Après deux épisodes ambitieux, sortis en 2002 puis 2004, cette saga d'aventure fait son retour sur consoles et PC pour un troisième opus.
Nous avons pu rencontrer son créateur : le dessinateur belge Benoît Sokal. Un auteur atypique dans le secteur du jeu vidéo, qui livre avec cette œuvre une forme de résistance face aux standards du secteur. Venu de l'univers de la BD, il offre, avec Syberia, un monde singulier, une uchronie bâtie sur les ruines du communisme soviétique.
Y avait-il encore beaucoup à raconter autour de Syberia ?
Il est vrai que les deux premiers épisodes formaient une histoire complète. Et je ne comptais pas la poursuivre. Mais Syberia est un univers pour lequel je n'ai pas d'état d'âme à le voir grandir et à le développer. Je compte l'élargir de plus en plus dans les prochaines années. Ce troisième épisode est donc une nouvelle aventure de Kate Walker. L'inspiration reste tout de même l'Europe du XXe siècle, avec une réalité fantasmée. C'est ce qui m'amuse et m'intéresse.
Pourquoi êtes-vous si attaché à cet univers ?
Au début du XXIe siècle, lorsque j'ai créé Syberia, je m'étais posé, comme beaucoup de mes contemporains, pour dresser le bilan du siècle passé. L'idée originelle de l'histoire de Syberia me vient de l'histoire de mon grand-père. Il était un peu ukrainien, puis autrichien, un peu juif aussi... Il a traversé tout cette Europe, balloté par les événements. Syberia est un peu tout ça. L'histoire d'un voyage qui va de la Sibérie jusqu'à l'Europe centrale. Il y avait au début du XXe siècle une forme d'errance intimement liée au développement du train, comme le Transsibérien, l'Orient-Express ou les wagons qui allaient vers les camps.
Syberia développe également un versant post-apocalyptique, où la rouille est omniprésente dans la direction artistique...
Quand on dessine quelque chose en 3D, si un objet ne raconte pas une histoire, par l'usure ou la rouille, ce n'est pas intéressant. Les premiers objets modélisés en 3D étaient trop lisses. Quand j'ai réalisé l'Amerzone, mon premier jeu vidéo, de 1994 à 1996, et que j'ai eu un coup de foudre pour la 3D, je voulais absolument que cet aspect brillant disparaisse. J'ai donc dessiné et photographié des textures de rouilles, de coulures et d'usures. Cela donne une âme à un objet et cela crée une crédibilité, en ôtant le côté superficiel de la 3D.
Au début des années 2000, Kate Walker faisait partie des rares héroïnes de jeu vidéo, comme ce fut le cas pour Lara Croft. Aujourd'hui, ce point a évolué mais reste encore en retrait, pourquoi les femmes sont-elles sous-représentées ?
Personnellement, je trouve que c'est plutôt agréable d'avoir une héroïne dans un jeu. Je suis plutôt hétérosexuel et je me dis que, si on doit passer deux ou trois ans à faire un jeu vidéo, autant que ce soit en bonne compagnie. Je ne vois donc pas pourquoi les femmes n'occupent pas plus de place dans ce domaine. Toutefois, je comprends que, pour des jeux orientés action, celles-ci peuvent moins passer en force. Pour moi, il ne s'agit pas non plus de faire de «faux hommes», qui possèdent des attributs féminins, mais qui en fait sont hyper-musclés. Lorsqu'on regarde les secteurs du cinéma ou les séries TV, il y a beaucoup de femmes héroïnes. Ce n'est pas un hasard. Je pense que les scénaristes voient dans le personnage plus de possibilités.
Qu'avez-vous pu développer sur Syberia 3, qui techniquement n'était pas faisable pour les deux premiers volets ?
Essentiellement la 3D en temps réel. Celle-ci nous a offert une plus grande souplesse de caméra, ainsi que dans les déplacements du personnage. En rejouant récemment aux épisodes 1 et 2, je trouve qu'ils ont plutôt bien vieillis, même si la nostalgie de certains joueurs tend à ce qu'ils les idéalisent un peu.
Vous avez une très longue expérience en matière de BD. Qu'a-t-elle apporté pour le développement d'un jeu vidéo ?
Le langage BD est tellement dans mes gênes que je ne me rends pas compte de tout ce qu'il a apporté au jeu. Mais cela reste un langage qui emprunte beaucoup au cinéma. Il a le mérite d'être extrêmement clair, simple.
Je me réclame plus de l'école franco-belge, qui est faussement simple, mais qui pose un principe : que le lecteur-joueur comprenne exactement ce qu'on veut lui dire et pas autre chose. Sans ajouter des détails qui ne servent à rien. Certains pensent que c'est daté... Je n'en sais rien, mais pour moi il s'agit d'une rigueur importante. Si l'on prend l'exemple de Star Wars, tout y est filmé de manière très classique. C'est peut être pour cela que ça a un côté universel, car c'est lisible.
Je suis plus adepte du fantastique que du merveilleux.Benoît Sokal
Jouez-vous beaucoup sur PC ou consoles ?
Pas beaucoup. Je me retrouve souvent dans les jeux comme Assassin's Creed. Sans doute parce qu'une partie de l'équipe qui a programmé ce jeu a commencé sur le premier Syberia, avant de rejoindre Ubisoft. Ce type d'œuvre propose un glissement de la réalité, mais dans un univers crédible. Ce qui me plaît, car je suis plus adepte du fantastique que du merveilleux.
Syberia 3, Microïds, disponible sur PC, Mac, Xbox One et PS4 et prévu en automne sur Switch.