Dans son édito de ce lundi 29 novembre, Paul Sugy revient sur la relation franco-britannique en expliquant que la France met la pression à la Grande-Bretagne sur la thématique des migrants qui tentent de traverser la Manche.
Lorsqu’un ministre vient à Calais, sans doute est-il saisi par un sentiment de modestie, car le drame humain qui se joue dans la Manche est un problème vieux de plus de trente ans et sur lequel même les meilleurs se sont cassé les dents. Il prend racine dans le début des années 90, quand le démantèlement de l’URSS précipite des milliers de personnes venues d’ex-Yougoslavie sur les routes de l’Europe.
Tous ou presque ont ce rêve en tête : gagner l’Angleterre, où leur promet-on, ils trouveront du travail, un toit et du pain. En 1994 prend effet un accord entre Londres et Paris, qui établit un contrôle douanier et migratoire à Coquelles, avant l’embarquement dans les trains qui empruntent le tout nouveau tunnel sous la Manche. C’est à compter de ce moment que le Pas-de-Calais va devenir le lieu de fixation des clandestins, qui seront ensuite logés à Sangatte par Chevènement, puis dans la « jungle » de Calais à partir de 2002, quand Sarkozy fait détruire le hangar de Sangatte.
Depuis, le démantèlement ordonné par Cazeneuve et le relogement de fortune des migrants dans des camps à peine moins problématiques aux portes de Paris n’y a pas fait grand-chose : dès l’hiver 2016 les candidats à la traversée revenait par milliers reformer la jungle, obligeant de nouveau les patrouilles françaises à surveiller une bande côtière de près de centaine de kilomètres de long, et ayant le sentiment, pour empêcher la noyade de ces malheureux jetés à l’eau par la misère et par les promesses empoisonnées des passeurs, de vider la mer avec une petite cuiller.
Une réunion de crise
C’est la faute aux Anglais ! Gérald Darmanin se tue d’ailleurs à le dire, et pour bien le leur signifier, les a exclus de la réunion d’hier, agacé à bon droit par un courrier de Boris Johnson accusant peu ou prou la France d’être responsable de ce drame faute de savoir contrôler sa frontière, ce qui ne manque pas d’air. Si des migrants se noient dans la Manche, c’est parce que la mer est presque la seule façon d’espérer gagner l’Angleterre depuis qu’en trois ans la France a sérieusement réduit les passages clandestins par l’Eurotunnel, pour le compte des Britanniques.
Et si en plus de la quarantaine de personnes qui ont tragiquement trouvé la mort dans le naufrage de leurs embarcations de fortune, environ 25.000 migrants ont réussi à gagner le Royaume-Uni, c’est parce que les 50.000 autres qui ont tenté la traversée ont été empêchés à temps par la police française. Cela n’empêche pas les plumitifs d’un tabloïd britannique de faire croire, toute honte bue et photomontage mensonger à l’appui, que la police française regarde et laisse faire. Reste que la surveillance des côtes, qui est encore loin d’être suffisante, représente un coût annuel de 120 millions d’euros. 120 millions que la France dépense pour garder la frontière britannique ; pour permettre au Royaume-Uni de n’accueillir que 27.000 demandeurs d’asile quand la France en accueille 80.000 chaque année.
Sur ces 120 millions, les Anglais ont promis d’en payer 54 millions : ils n’en ont versé que 20. Alors payez les premiers, messieurs les Anglais. Et lisez ce qu’écrit depuis la France le journaliste britannique John Lichfield : « Ces dernières années, le nombre de demandeurs d’asile, de réfugiés, de migrants clandestins qui atteignent le Royaume-Uni a diminué, et non augmenté, parce que la France, œuvrant pour le compte de la Grande-Bretagne, a bloqué les voies. Il est temps pour nous de se souvenir que la France nous a évités une crise migratoire pendant des années. Accuser la France de ces noyades est aussi idiot que d’accuser la mer elle-même».
La France bien sûr doit s’interroger : elle a par ses choix politiques globaux créé à Paris les conditions du problème dont elle hérite à Calais : des accords de Schengen à l’incapacité actuelle du gouvernement à mettre en place des politiques de reconduite systématique à la frontière des clandestins et des personnes déboutées du droit d’asile. Toute notre hésitation dans le débat sur la question migratoire est coupable.
Le fait même qu’une partie de la classe politique continue de ne s’y intéresser que pour donner des leçons de morale est d’une bassesse indigne. Ainsi de Yannick Jadot, pour ne citer que lui, qui est venu faire une démonstration d’humanisme en déposant des fleurs à Saint-Pierre-de-Calais. Comme si Gérald Darmanin, comme si l’ensemble des politiques en charge de cette situation depuis trente ans, n’avaient pas le cœur serré en apprenant chaque nouveau drame qui se joue au large de nos côtes ! Mais que propose Monsieur Jadot, à part ses leçons de morale ?
Coupables, enfin, les ONG qui sous couvert d’action humanitaire encouragent en partie la situation qu’elles déplorent ensuite ; ces ONG qui défilaient hier aux abords de la réunion des ministres en scandant : « Darmanin assassin, t’as du sang sur les mains », juste avant d’appeler à l’ouverture des frontières. C’est l’idéologie no-border qui tue elle aussi des hommes et des femmes, en leur faisant espérer des mensonges. Qui leur demandera un jour des comptes ?