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L'édito de Paul Sugy : «Montebourg et l’argent des migrants»

Dans son édito de ce lundi 8 novembre, Paul Sugy revient sur «la proposition anti- transferts d'argent des migrants à l'étranger»évoquée par Arnaud Montebourd.

La proposition du candidat invité au Grand Jury RTL – LCI – Le Figaro est assez simple : il suggère d’empêcher les transferts d’argent des migrants vivant en Europe à destination de leur famille, si celles-ci vivent dans des pays qui ne jouent pas le jeu, et notamment qui refusent de récupérer tout ou partie des clandestins que la France veut expulser. C’est donc une mesure coercitive supposée faire plier ces gouvernements récalcitrants, qui empêchent dans bien des cas les reconduites à la frontière de migrants clandestins. Montebourg propose notamment de le faire en bloquant les opérateurs, notamment la banque Western Union qui est fréquemment utilisée pour ces transferts.

Ces transferts de revenus en direction du pays d’origine, que l’on appelle aussi « remise migratoire », constituent aujourd’hui le principal financement dont bénéficient les pays en développement. Ils sont un droit garanti par plusieurs traités internationaux, ainsi que par le Conseil de l’Europe. Ils atteignaient en 2020 un total de 540 milliards de dollars, c’est-à-dire plus que la somme des aides au développement (179 milliards) et des investissements directs à l’étranger (259 milliards) versés à ces pays. Et encore, on ne compte pas le cash. Certes le montant total de ces transferts a un peu baissé par rapport à 2019, mais beaucoup moins que ce que craignait la Banque mondiale, puisque la baisse n’a été que de 8 milliards alors qu’on craignait une chute de 20 %.

Dans certains pays, le montant de ces transferts représente près du tiers du produit intérieur brut. C’est donc une manne financière pour des États dans le besoin, mais d’autant plus ambivalente qu’elle est incertaine, soumise aux aléas de la vie économique des familles de migrants dans leur pays d’accueil. Ces transferts d’argent sont très élastiques en fonction des crises ou de l’évolution du pouvoir d’achat, et la Banque mondiale a montré que les pays qui en sont le plus dépendants sont d’autant plus vulnérables lorsque survient une crise comme une pandémie mondiale. D’autre part ces transferts, qui représentent une indéniable fuite d’argent pour les pays d’accueil, correspondent à une forme d’aide informelle, donc non fléchée : en clair, on ne sait pas toujours dans la poche de qui ça va. Et il n’est pas rare d’entendre, dans des pays musulmans, que des mosquées où est enseigné par exemple l’islam radical sont financées grâce à l’argent envoyé par des familles d’immigrés.

Cette réaction a été partagée par beaucoup à gauche, où l’on a entendu résonner toute la journée d’hier le concert habituel des protestations convenues. Auprès de mon confrère Pierre Lepelletier, le sénateur Rachid Temal a également déploré : « Avec sa mesure c'est la première fois qu'on condamne un peuple innocent à la place d'un régime qu'il estime coupable. » Alors pardon Monsieur le sénateur, mais on n’a pas dû lire les mêmes livres d’Histoire. Du blocus de Berlin aux sanctions économiques contre l’Iran, en passant, tiens même, par les mesures de rétorsion sur le commerce infligée par l’Europe en réaction au protectionnisme américain, quand on veut s’en prendre à un régime que l’on estime coupable sans lui faire directement la guerre, on touche au portefeuille de son peuple.

Et d’ailleurs quand on lui fait la guerre pour de bon, la chair à canon, c’est encore et toujours le bon peuple. N’en déplaise donc aux bonnes consciences effarouchées, il paraît invraisemblable que l’on puisse contraindre les pays qui rechignent à permettre le retour de leurs ressortissants présents clandestinement en Europe sans employer un jour de moyens coercitifs qui affecter d’une façon ou d’une autre les populations.

Quelques leçons rapides, donc, à tirer de la polémique suscitée par Arnaud Montebourg : D’abord, l’un des sujets qui s’impose dans cette campagne, au-delà de la question migratoire, c’est l’impuissance de l’État : comment redonner à l’exécutif les moyens de faire appliquer la volonté souveraine des Français.

Seconde leçon enfin, on a longtemps pu constater dans la vie politique française ce qu’Albert Thibaudet a appelé le « sinistrisme » : les idées politiques les plus courantes étaient forgées à gauche et devenaient ensuite consensuelles y compris à droite. Des congés payés au mariage homosexuel, les exemples ne manquent pas. Peut-être assiste-t-on à un mouvement inverse, c’est à-dire que des idées théorisées à droite (en l’occurrence Marine Le Pen et Éric Zemmour avaient tous deux formulé la même proposition qu’Arnaud Montebourg) commencent à inspirer des candidats de gauche.

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