Dix mois après sa grave blessure lors du super-G de Wengen, en Suisse, Alexis Pinturault s’est confié sur son retour à la compétition et ses ambitions pour les prochains mois. Le triple champion du monde de ski devrait faire son retour à Beaver Creek, aux États-Unis, en décembre prochain.
Le skieur savoyard, Alexis Pinturault, vainqueur du classement général de la Coupe du monde en 2021, et triple champion du monde de ski, s'était rompu le ligament croisé antérieur du genou gauche à la suite d'une lourde chute lors du super-G de Wengen (Suisse), en janvier dernier. Il s’est confié, pour CNEWS, sur les doutes qu’il a pu avoir durant les dix mois qu’il a passé loin des compétitions officielles.
Depuis votre blessure à Wengen, en janvier dernier, par quels sentiments êtes-vous passé ?
Il y a eu beaucoup de moments de doute, tout simplement parce qu'au début, il y a pas mal d'interrogations, on ne sait pas vraiment par quoi on va passer, on ne sait pas combien de temps ça va durer. Une fois que j’ai été opéré par le chirurgien, un cap a été donné. On sait les étapes par lesquelles on va devoir passer, les étapes importantes surtout, et après, il y a délais de convalescence, des délais de reprise d'activité, des délais pour reprendre le ski avec de l’intensité.
Ça permet d'avoir une perspective un peu plus claire et de pouvoir se reconstruire pour l'avenir et avec des motivations qui sont certes un peu différentes parce qu'il faut vivre au jour le jour et adapter en fonction de son genou, mais ça permet d'avoir des vrais objectifs à plus ou moins long terme.
Comment avez-vous réussi à passer toutes ces étapes sans «craquer» psychologiquement ?
C’est assez simple, on coche une case et en cochant cette case, on valide quelque chose d’important et de la sorte, on peut passer à l'étape suivante et ainsi de suite. Le processus est long, on réapprend à marcher, on recommence la marche, on quitte les béquilles, derrière, on se renforce tout doucement la jambe. Une fois qu'on a fait tout cela, on peut reprendre la course à pied, mais ça ne vient qu'au bout de quatre mois. Parce que le premier mois et demi, c'est du canapé essentiellement.
Il faut savoir appréhender la douleur, mais il faut savoir faire la différence entre la bonne douleur, celle qui nous fait progresser et la mauvaise, celle qui va au contraire nous vous amener des complications par la suite. Et psychologiquement, c'est la tête qui doit faire le relais et savoir-faire un peu la différence et mettre aussi les barrières là où il faut, mais du coup ces barrières-là, derrière, il faut aussi savoir les enlever, les casser pour pouvoir faire les steps suivants.
Ce n’est qu’à partir de sept mois que j'ai pu reprendre le ski, recommencer les sports de pivot. Les sports de pivot, ce sont tous ces sports qui vont te faire travailler des rotations au niveau du genou. Ça peut être le football, le tennis, des exercices de renforcement, des sauts sur les côtés.
Je ne regardais pas les réseaux, je ne regardais pas les médias, je ne regardais rien
Comment avez-vous géré votre période d'absence ?
Je ne regardais pas les réseaux, je ne regardais pas les médias, je ne regardais rien. Pendant ma blessure, et surtout au tout début, j'ai suivi les résultats des Français, mais je n'ai jamais regardé les courses. Je n'avais pas spécialement l'envie, je n'avais pas spécialement le cœur de regarder les courses.
Je pense que ça faisait aussi partie de ma convalescence de passer complètement à autre chose, de moins être concentré sur cet univers-là, de profiter, d'être loin de ce circuit, alors que les treize dernières années, j'étais au plus haut niveau, et j'étais toujours au cœur même de tout ce qui se passe. J'ai pris cette opportunité pour pouvoir me ressourcer et passer entièrement à autre chose. J'ai eu la naissance de ma fille, et j'ai pu en profiter. Ça a été aussi un événement qui a été moteur dans ma rééducation.
Est-ce qu’il n’y avait pas cette peur de revenir trop vite ?
L'objectif, très clairement, ça a toujours été de prendre le temps, de faire les choses en fonction de mon ressenti. Je ne voulais surtout pas brusquer les choses. Par exemple, ça a été mon choix de ne pas aller à Sölden (Autriche), la première épreuve de la saison, tout simplement parce que je sentais que je n'en étais pas encore prêt.
Et on a décidé, du coup, naturellement, de reprendre à Beaver Creek, qui me laissait, finalement, presque un mois de plus avant de reprendre. Du mois de janvier jusqu’à ma reprise en décembre, ça faisait onze mois, c'est un délai qui était beaucoup plus appréciable pour mes entraîneurs, le corps médical, les psychologues, mais aussi essentiellement dans ma préparation.
Et concernant vos ambitions sportives, quelles sont-elles pour la saison ?
Je pense que les perspectives sportives et de résultats seront vraiment à partir de l'année prochaine où j'aurai déjà eu une saison après ma blessure pour pouvoir répondre à un certain nombre de questions. Mais j'espère quand même, pendant la saison, pouvoir cocher certaines cases, valider certaines étapes afin de monter progressivement en intensité et d'être de plus en plus compétitif.
Est-ce que vous avez remarqué sur les réseaux sociaux que les Français ont eus envie de vous revoir au départ des compétitions ?
Ce n’est pas quelque chose que je ressens au premier abord, mais quand les gens commencent à nous le dire une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, et là, je commence à le ressentir. Je suis dans le dernier mois avant la reprise des compétitions, cette bienveillance me galvanise d'une certaine manière et ça fait extrêmement plaisir de voir que tous ces gens veulent mon bien et veulent me voir au plus haut niveau. Je me suis naturellement demandé si je savais encore faire les choses.
Je me suis naturellement demandé si je savais encore faire les choses
Vous avez parlé du fait que vous pensiez à arrêter votre carrière, est-ce que c’est quelque chose que vous souhaitez rapidement évacuer ?
Évidemment, cette question était dans tous les questionnements que j'ai pu avoir au tout début. Surtout entre la blessure et le moment où je me fais opérer. Pendant ces dix jours, je ne savais pas quelle était l'ampleur de ma blessure. Derrière, on a des imageries, les IRM. Au moment où je sors de l'IRM, on me dit que les croisés sont atteints, mais que les ménisques sont plutôt en bon état.
Et dix jours plus tard, au moment de l'opération, le chirurgien m'opère, prend l'initiative d'opérer aussi les deux ménisques, parce qu'ils sont complètement détruits. Pendant ce laps de temps, on se pose un bon nombre de questions, et c’est là où on commence à se dire qu’il est possible d’arrêter. Mais ça a rapidement été mis de côté.
Est-ce que vous avez un programme pour cette saison ?
Dans l'idée de mon staff et aussi de moi-même, il y a une envie d'adapter le calendrier en fonction de mon ressenti. Je pourrais adapter mon calendrier, surtout, en fonction de l’état de mon genou. Et s'il faut faire certains choix, ils se porteront notamment sur la descente et en privilégiant aussi le géant et le super-G. Mais si vraiment, à un certain moment, je ne me sens pas bien ou alors que le genou ne réagit pas bien, on pourra peut-être faire des choix encore plus forts.
En août, comment vous sentiez-vous lorsque vous êtes remonté pour la première fois sur des skis ?
Je me suis naturellement demandé si je savais encore faire les choses. Quand on réapprend à marcher et littéralement à poser le talon en premier, ensuite dérouler le pied, puis lever le pied à la fin, c’est naturel de se le demander. Ce processus, il est douloureux et on se demande logiquement si on va réussir à skier de nouveau et de quelle manière. Mais quand on fait un ou deux virages, on se rend vite compte que c'est un peu comme la bicyclette, ça ne s'oublie pas.
Est-ce que vous avez eu des appréhensions ?
En fait, on a une appréhension qui est normale. À chaque fois qu'on fait quelque chose de nouveau, dans tout ce processus, qui est long, on a des questions. Est-ce que je vais encore avoir mal ? Est-ce que mon genou est capable de suivre ou pas ? Est-ce que c'est mieux d'attendre ? Puis finalement, il faut aussi un peu se brusquer, prendre d'une certaine manière son courage à deux mains et puis se lancer.
Les Jeux olympiques de 2030, dans les Alpes, sont-ils dans votre tête ?
Alpes 2030, bien sûr que c'est dans ma tête, j'ai vécu les championnats du monde à la maison. J'ai été champion du monde à la maison. À Courchevel, ça a été quelque chose de formidable. Forcément que j'aimerais revivre ça en 2030, après, ça veut dire que c'est dans six ans, donc c'est quand même très long. Dans la carrière d'un sportif, il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer. Donc il faudra faire un point, je pense, après 2026, après les Jeux de Milan Cortina, et puis se poser les bonnes questions pour savoir si on veut partir pour quatre nouvelles années ou non.
Est-ce qu’il vous manque quelques choses dans votre palmarès selon vous ?
Je pense qu’il me manque une seule chose aujourd'hui, c'est une médaille d'or aux Jeux Olympiques.