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«Certaines nuits, je dormirai trente minutes» : avant le départ du Vendée Globe, le skipper Oliver Heer livre ses confidences

Oliver Heer est un skippeur suisse qui participe à des compétitions de voile depuis son enfance. [Joel Saget/AFP]

Après le décès de son père en 2014, Oliver Heer a décidé de se lancer dans la course au large. Ce dimanche 10 novembre, il va participer à son premier Vendée Globe avec différentes ambitions personnelles et est conscient de la difficulté qui l'attend.

Le navigateur suisse Oliver Heer participe à des compétitions de voile depuis son enfance. Dès son plus jeune âge, il a acquis une expérience précieuse en participant à des régates internationales à travers toute l'Europe. Après le décès prématuré de son père en 2014, il a décidé de suivre ses rêves. Après plusieurs années à travailler aux côtés du légendaire Alex Thomson, il se lance enfin en solitaire et va participer ce dimanche 10 novembre à son premier Vendée Globe.

À l'inverse d'un Charlie Dalin ou d'un Thomas Ruyant, votre nom reste peu connu du grand public. Pourtant, vous évoluez depuis enfant dans ce milieu...

J'ai commencé la voile quand j'étais jeune, j'avais 5 ans. Pendant de très longues années, faire le Vendée Globe n'a été qu'un rêve. Quand je suis parti vivre en Angleterre et que j'ai commencé ma carrière professionnelle, il y a dix ans, ce rêve est devenu de plus en plus réalisable. Les gens sous-estiment souvent le travail qu'il faut pour que ton hobby devienne ton métier. Ils ont une vision assez romancée de la phrase «Vie tes rêves». C'est énormément de travail.

Lorsque j'ai commencé ma campagne pour faire le Vendée Globe, en 2021, j'ai dû travailler tellement dur. Le public ne nous voit que comme des skippers. Mais nous sommes aussi des businessmans. Même si tu es un bon skipper, tu as l'obligation d'être un excellent businessman. Sur une année, tu as quelques courses, mais sinon, tu passes ton temps sur le chantier, avec le bateau, avec tes associés, les sponsors.

Vous avez accompagné Alex Thomson lors de ses campagnes du Vendée Globe. Qu'est-ce que cela vous a apporté ?

Cela a été une aide tellement importante. Même si nos campagnes sont bien différentes, comme j'ai un budget assez moyen, cela m'a montré l'éthique de travail qu'il fallait avoir. Avoir mon bateau de prêt, être prêt personnellement, c'est vraiment important. Toutes les décisions que vous prenez dans les deux dernières années de votre préparation vont affecter votre Vendée Globe. Pour le départ, cela va aussi m'aider, quand j'ai quitté le chenal avec Alex il y a quatre ans, j'ai eu l'expérience et compris le stress que cela représentait.

Est-ce que vous avez des techniques pour gérer les moments de solitude qui vont être nombreux durant ce Vendée Globe ?

J'ai travaillé avec un coach mental durant trois ans. Il coache aussi des athlètes olympiques. Pendant ces trois ans, on a travaillé les situations d'isolement. Il m'a fait comprendre qu'il y avait deux choses différentes. Être seul et se sentir seul sont deux choses différentes. Oui, je vais être seul parce qu'il n'y aura aucun humain autour de moi. Mais ce n'est pas parce que je vais être seul que je vais me sentir seul.

J'ai ma famille sur terre, j'ai mes followers sur les réseaux sociaux. J'ai des journalistes qui veulent entendre mon histoire, donc non, je ne vais pas me sentir seul. Et le fait de séparer les deux va rendre ma course tellement plus simple. Et d'ailleurs, j'ai eu énormément de chance de pouvoir travailler à ses côtés. Car je n'avais pas les moyens financiers pour m'offrir ses services, mais il a gentiment accepté de m'accompagner dans cet immense défi.

Il faut vivre le moment présent et ne pas stresser concernant le passé et le futur

Est-ce que cela a changé votre approche ?

Être capable de performer sur trois mois, seul et dans un environnement difficile, c'est quelque chose qui est vraiment difficile. Mais pour moi, la difficulté, c'est 80% dans la tête. D'ailleurs, la course en solitaire, c'est un des rares sports où les femmes et les hommes sont sur un même pied d'égalité. Cela prouve à quel point ce ne sont pas les capacités physiques qui sont mises en avant, mais surtout les capacités mentales.

Est-ce que vous essayez d'avoir une certaine routine lorsque vous êtes sur l'eau ?

C'est limite obligatoire. J'ai aussi besoin d'avoir des éléments sur mon bateau qui vont me rappeler ma vie sur la terre ferme. J'ai des photos de mes amis, de ma famille, de mon chien. Mais j'ai aussi mis ma bague de fiançailles autour de mon cou et cela me permet de me rappeler ma femme qui est à la maison. Quand je vais finir ce Vendée Globe, la vie aura avancé et il faudra que je me remette dans le cours de la vie.

J'ai pris un seul livre pour ce Vendée Globe. C'est un livre sur la force mentale. Il s'appelle «Le Pouvoir du moment présent» d'Eckhart Tolle. Cela parle du fait qu'il faut vivre le moment présent et ne pas stresser concernant le passé et le futur. J'ai aussi des livres audio sur iPhone. Je vais aussi écouter énormément de podcasts parce que ça va m'aider lorsque je vais me sentir isolé. Quand je vais écouter ces podcasts, je vais me sentir comme si j'étais assis à un café en écoutant une conversation entre deux personnes assises à côté de moi. Un de mes podcasts préférés en ce moment, c'est le journal d'un CEO. C'est une personne très intéressante et il y a des invités qui sont passionnants.

Avez-vous travaillé sur vos cycles de sommeil ?

J'ai fait des entraînements sur le sommeil, mais c'est tellement difficile de travailler sur ce genre de choses. Souvent, cela me prend environ cinq jours de prendre un bon rythme de sommeil. Et quand je reviens sur terre, ça me prend aussi cinq jours pour reprendre un rythme normal. D'ailleurs, dans mes expériences précédentes, je dormais les premiers jours dans la chambre d'amis parce que je me réveillais toutes les 40 minutes en pensant que je devais changer une voile et ma femme n'était pas contente de ça.

Je suis beaucoup plus pro-actif quand je ne travaille pas dans l'urgence

Comment arrive-t-on à rester lucide dans ces moments de fatigue extrême ?

C'est aussi quelque chose que je travaille avec mon coach mental. Il faut toujours faire les choses avant qu'elles ne deviennent urgentes. Quand je respecte cette règle, je suis beaucoup plus pro-actif. Mais si je travaille dans l'urgence, je suis dans la réactivité et travailler sous pression, c'est quelque chose qui peut me stresser. Et d'ailleurs, c'est dans ce genre de moments que je fais des erreurs.

Est-ce que vous stressez à l'idée du départ ?

Il ne faut surtout pas se surcharger d'objectifs. Quand je vais monter sur le bateau dimanche en quittant les Sables d'Olonne, je ne dois sûrement pas penser au fait que je vais être seul pendant trois mois. Il ne faut surtout pas penser au fait que je ne vais dormir que trente minutes parfois par nuit ou au fait que je ne vais pas prendre de douche quotidiennement. Cela ne doit surtout pas me surcharger l'esprit. C'est beaucoup trop pour un humain de penser à tant de choses en même temps. En plus, je ne vais pas dormir pendant les quarante-huit premières heures et il faudra que je réussisse à me régler par la suite.

Vous êtes l'un des seuls skippeurs qui visera la neutralité carbone durant ce Vendée Globe...

La durabilité de mon bateau est hyper importante pour moi. Je travaille avec une entreprise suisse qui s'appelle ClimatePartner. On a un label de neutralité carbone. On va essayer de limiter au maximum notre empreinte carbone. Au chantier, on réfléchissait déjà aux matériaux que l'on allait utiliser sur le bateau. Nous allons compenser les émissions non réduites par le biais de projets de compensation carbone internationalement reconnus.

À l'aide d'un capteur de pointe, je vais essayer de recueillir des données océaniques précieuses et les mettre à la disposition de la science. Le Swiss Polar Institute a installé un équipement scientifique de pointe à bord de mon IMOCA pour mener une campagne de collecte de données robuste et innovante pendant les phases d'entraînement. Ils vont aussi fonctionner durant ma course. C'est aussi quelque chose que j'applique au quotidien. Je fais mes déplacements en train à la place du car et de l'avion.

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