Trois courses en Formule 1 cette saison et chaque fois des consignes favorisant Sebastian Vettel aux dépens de l'étoile montante Charles Leclerc : après le Grand Prix de Chine dimanche, la stratégie de Ferrari essuie le feu des critiques.
«Quand vous commencez à faire ce genre de choses, cela devient très compliqué, vous créez un précédent et vous ouvrez une boîte de Pandore», résume le patron de Mercedes Toto Wolff, qui a connu cette situation avec Lewis Hamilton et Nico Rosberg entre 2014 et 2016, et désormais Valtteri Bottas. Wolff sait de quoi il parle : l'an dernier, il a dû défendre la demande faite au Finlandais de laisser gagner le Britannique en Russie en deuxième partie de saison.
Les consignes d'équipe n'ont jamais eu bonne presse en F1 - elles ont même été interdites par le règlement entre 2002 et 2011 -, mais elles sont un mal nécessaire dans certains cas, disait-il alors. Comment, en effet, quand l'un de vos pilotes joue le titre et que l'autre est hors du coup au Championnat, ne pas demander au second de s'effacer pour maximiser les chances du premier ?
Mais le faire si tôt dans la saison, quitte à retarder l'éclosion d'un pilote aussi prometteur que Leclerc, est risqué à bien des égards. Ferrari n'a pas caché son jeu, laissant entendre dès les essais par la voix de son «team principal» Mattia Binotto qu'elle avait un N.1, le quadruple champion du monde allemand, et un N.2, le Monégasque qui, à 21 ans, aborde sa deuxième saison en F1.
Le hic, c'est que Leclerc était plus rapide quand on lui a demandé en Australie de ne pas dépasser son équipier pour le gain de la quatrième place. Il l'était encore à Bahreïn quand on lui a passé le même message, qu'il a cette fois ignoré, pour voir ensuite un souci mécanique le priver d'une première victoire parmi l'élite. Et en Chine, Vettel, qui semblait avoir plus de rythme, n'a pas su faire un meilleur travail une fois passé devant.
«fils préféré»
Retour au onzième tour. A la demande de la Scuderia, Leclerc, qui avait pris le meilleur sur son équipier au départ, s'efface pour le laisser reprendre la troisième place. Mais l'Allemand ne parvient pas à se rapprocher des Mercedes, en tête de la course, et les Ferrari se trouvent menacées par la Red Bull de Max Verstappen, rentré aux stands avant elles. Vettel est immédiatement rappelé pour changer de pneus. Leclerc, lui, doit rester en piste. Il ne sera finalement que cinquième derrière Verstappen.
Pour préserver la troisième place de l'Allemand, le Monégasque a été «sacrifié» commente l'ancien pilote britannique Martin Brundle. Pour l'Allemand Nico Rosberg, ce «traitement (est) trop sévère». «Il s'est fait enfumer», pointe le Français Franck Montagny. Sur les réseaux sociaux, on fustige cette décision. Sur le paddock, Leclerc admet sa frustration mais se passe de commentaires sur le fond, tandis que Vettel insiste sur le fait qu'il était «plus rapide».
«Nos décisions stratégiques ont été prises pour assurer le meilleur résultat à l'équipe» et non pour «favoriser un pilote plutôt qu'un autre», assure de son côté Binotto. Tout de même, ce choix est d'autant plus paradoxal que Leclerc est le nouveau chouchou du public, pointe le Corriere della Sera, alors que Vettel déçoit depuis deux ans par ses erreurs en piste.
«Le fait est qu'aujourd'hui, le petit Charles est le fils préféré, l'homme du futur pour énormément de supporters de Ferrari, donc bas les pattes !», lit-on sur le site du quotidien italien, pour qui il s'agissait peut-être de «protéger ou de booster le moral de l'Allemand après trois courses qui ont surtout exalté le talent de Leclerc». «Ce seizième Grand Prix de Chine marquera sans doute le début officiel des soucis pour Ferrari, même si elle refuse encore de l'admettre, renchérit le quotidien français L'Equipe. Après cette course, il est désormais, clair, évident et indiscutable que Charles Leclerc ne voudra pas rester dans l'ombre.»