Les drapeaux d’Oxford et Cambridge flottent sur la berge de Putney. Dimanche s'y déroulera la 160e édition de la course d'aviron qui voit s'affronter les deux plus prestigieuses universités britanniques, mêlant traditions séculaires et exigences du sport de haut-niveau.
Le ballet des rameurs débute de bonne heure sur le quai de ce quartier résidentiel du sud-ouest de Londres, enfilade de clubs d'aviron des meilleurs lycées et universités de la capitale.
Arrivés à Londres le week-end dernier, les "Light Blues" de Cambridge et les "Dark Blues" d’Oxford s'entraînent deux fois par jour, en évitant soigneusement de se croiser. Face au Bishop’s Park, d’où partira la course, les huit rameurs de Cambridge filent sur la Tamise, au rythme des consignes du "cox", le chef de nage assis face à eux à l'avant du bateau.
"On se lève à 05H30 toute l’année. En tout, on s’entraîne trois à quatre heures par jour, on couvre 25 miles (40 km) en moyenne", explique à l'AFP Steve Dudek, capitaine de l’équipe de Cambridge, sur le balcon du club d'aviron du King’s College.
Le reste de la matinée est passé sur les bancs de l'université. L'après-midi, second entraînement, puis retour aux études.
"Parfois, je ne peux pas les entraîner parce qu’ils ont trop de travail", assure Steve Trapmore, coach de Cambridge depuis quatre ans et médaillé d'or aux JO 2000 de Sydney avec l’équipe de Grande-Bretagne.
Créée en 1829, la course, longue de 4,2 miles (6,8 km), est devenue un rendez-vous planétaire annuel.
Dimanche, plusieurs centaines de milliers de personnes afflueront sur les berges de la Tamise. La BBC retransmettra l’épreuve, sponsorisée par la Bank of New York Mellon. Pour autant, côté Cambridge, tous assurent que la course n’a rien perdu de son authenticité.
"Les choses ont changé dans les années 1990 avec l'arrivée des sponsors. Les universités ont recruté des entraineurs professionnels, des kinés, des biomécaniciens et des diététiciens.
Mais les rameurs sont toujours amateurs. Ils ne sont pas payés", souligne Chris Baillieu, qui a remporté quatre fois – un record à Cambridge – la "Boat race", au début des années 1970.
Depuis une semaine, il accueille chez lui les rameurs de Cambridge, logés à plusieurs par chambre, loin des hôtels où séjournent les sportifs professionnels.
Au fil des décennies, la technologie a modifié la compétition. Du bois à la fibre de verre, les bateaux se sont allégés, les sièges sont devenus amovibles. Les corps aussi ont muté. Cette année, les rameurs de Cambridge mesurent en moyenne 1m97 pour 92 kg, à peine plus que leurs rivaux d'Oxford, qui accusent quatre longueurs de retard au palmarès, avec 77 titres contre 81 pour Cambridge.
"On mange 6.000 calories par jour, si ce n'est plus", sourit Steve Dudek, 2m03 pour 101 kg.
Un entraînement de galériens
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"Avant, ils s’entraînaient pendant deux ou trois mois. Aujourd’hui, ça débute dès la rentrée universitaire. La préparation dure six à sept mois", indique Steve Trapmore.
A Oxford, trois des neufs compétiteurs sont médaillés olympiques, et d'autres ont été champions du monde junior. "C'est l'éternelle question de savoir s'ils sont recrutés pour leur talent en aviron ou leurs capacités intellectuelles. On peut penser que certains ont été admis grâce à l'aviron", lâche Rupert Wood, membre du "boat club" du Dulwich College, sur la berge où les remorques de bateaux stationnent en file indienne.
Dimanche, seuls sept Britanniques prendront part à la course, pour six Américains. Deux Canadiens, deux Néo-zélandais et un Allemand complètent les troupes.
"C'était déjà comme ça à mon époque. Ils ne sont pas exclusivement là pour l'aviron. Notre Allemand fait une thèse en physique théorique", soutient Chris Baillieu, 64 ans.
"Parfois, on se demande comment ils les choisissent. Mais ils doivent en dire autant de nous", s'amuse l'entraîneur de Cambridge, un regard vers le quartier général d'Oxford, situé vingt mètres plus loin. Pour lui, l'esprit de la course est immuable: "Elle aurait lieu même sans la télévision, sans les sponsors. Ce sont deux équipes qui veulent battre l'autre, et c'est tout ce qui compte".
Interrogé sur la différence entre les deux université, il répond dans un rire: "La seule et unique, c'est que nous sommes meilleurs".