Les genoux au sol, les poings serrés sur le Central de Roland-Garros… Ces images de Yannick Noah, le 5 juin 1983, sont gravées dans la mémoire collective. Trente ans plus tard, elles n’ont jamais été effacées et font de l’ex-tennisman devenu chanteur le dernier Français à s’être imposé sur la terre battue parisienne. Et à en croire ses propos, l’égérie du Coq Sportif, ce n’est pas cette année que ça va changer. Ce qui ne ferait qu’entretenir sa légende.
[Interview publié le 24 mai dans Direct Matin]
Vous allez fêter les 30 ans de votre victoire à Roland-Garros. C’est un joli anniversaire…
J’hallucine d’en parler encore trente ans après. C’est un souvenir qui m’accompagne tous les jours. Quand je croise des gens dans la rue, les trois quarts me parlent de cette victoire. C’était un moment fort pour moi et partagé par beaucoup.
Ce sacre reste une fierté ?
C’est un des moments les plus heureux de ma vie et j’ai «le film» dans ma mémoire. C’est un luxe.
Avez-vous tout de suite réalisé la portée de votre exploit ?
J’ai vu plein de gens heureux dans les tribunes, mais c’est le lendemain que j’ai réalisé. Cette victoire a été marquante, car cela faisait trente-sept ans qu’un Français n’avait pas gagné, et il y a eu une émotion rare avec la venue de mon père sur le court. Cela m’a fait entrer dans le cœur des Français. J’ai fait pleurer des gens ; pouvoir donner du bonheur, il n’y a rien de plus beau. Et quand on recroise ces personnes quelques années plus tard, les témoignages sont touchants.
Il y a donc eu un avant et un après Roland-Garros ?
Evidemment. Ma vie a changé ce jour-là. Mats Wilander m’a dit un jour : «Tu imagines ce que tu me dois ? Tu devrais me payer des coups tous les jours.» Je lui ai demandé pourquoi. Et il m’a répondu : «Si je t’avais battu et ensuite j’avais perdu en finale en 1988 contre Henri Leconte, tu imagines la vie que tu aurais aujourd’hui ?» Effectivement, il a raison. Cela tient vraiment à peu de choses… J’ai eu cette de chance de gagner chez moi devant tous les gens que j’aime. C’était parfait. J’avais atteint mon objectif. Et je pense qu’inconsciemment j’ai baissé d’un ton au niveau de ma motivation.
Votre victoire en 1983 est aussi très liée au Coq Sportif…
C’est très important d’avoir des gens qu’ils te font confiance, d’avoir dans ton entourage des gens qui ne doutent pas. J’avais 17 ans et demi quand le Coq Sportif est venu me voir et maintenant je suis avec eux depuis 35 ans. Ce qui m’a plu, c’est l’aventure humaine avec cet équipementier. C’est le seul mariage qui ait marché chez moi…
L’attente d’un nouveau Français vainqueur à Roland-Garros peut-elle durer encore longtemps ?
Ça m’est égal. Mon souvenir est plus important. Le jour où je vais casser ma pipe, on gardera cette image de moi. Ma vie et celle de mes proches ont été bouleversées par cet instant. J’espère néanmoins voir un jour un Français remporter Roland-Garros. Ce serait sympa de pouvoir lui remettre la Coupe.
Est-ce possible cette année ?
Non. Pas parce qu’ils ne sont pas bons. Mais ceux qu’il y a devant sont trop forts. Rafael Nadal et Novak Djokovic sont au-dessus, comme Borg et Vilas l’étaient à une certaine époque. Si j’avais été de leur génération, je n’aurais jamais gagné. A un moment, il y avait une petite porte et je m’y suis engouffré. J’ai eu cette opportunité le temps d’un tournoi sur ma surface et j’ai saisi cette chance. Une ou deux fois, un français a eu cette opportunité mais ils ne l’ont pas saisie. Aujourd’hui, c’est bouché.
Quel est votre favori ?
Franchement, je m’en fous. Quand Bjorg a gagné cinq fois de suite, il y avait une certaine lassitude. Je la ressens aujourd’hui avec Nadal. Ce qui me plaît dans un événement sportif, c’est l’émotion. Et dans son cas, il n’y en a plus. Nadal va gagner, il va s’écrouler sur le court, prendre la coupe et remercier les sponsors. Respect, mais je ne prends plus de plaisir dans ce tennis-là
Qu’est ce qui vous procure du plaisir aujourd’hui ?
Quand un petit de mon association, Fête le mur, fait une perf’, ça me touche. Et puis, moi qui habite à Paris, j’aime aussi aller au Parc des Princes avec mon fils de 10 ans et m’éclater. Et quand je vois ce PSG, je suis content et je me dis : «Enfin !» Cette équipe fait rêver. Et nos gamins ont aussi le droit d’avoir ce luxe. Ce n’est plus un luxe réservé à Madrid, Barcelone ou en Angleterre. Rien que pour ça, j’ai envie de dire merci aux Qataris.
Est-ce important pour vous d’être l’une des personnalités préférées des Français ?
C’est toujours gratifiant. J’aime bien être apprécié. J’accepte avec plaisir et il m’arrive d’être bouleversé par certaines paroles d’inconnus. Du coup, je me dis qu’il faut que je continue. Mais je pense que l’on a ce qu’on mérite. Le public ne se trompe pas.
En images, les grands moments de la carrière de Yannick Noah