La campagne présidentielle traverse une situation sans précédent, tant les forces en présence semblent éclatées. Si les affaires judiciaires n'arrangent rien, pour le politologue Thomas Guénolé, ce flou est en partie dû à une mutation de l'électorat.
La situation que traverse François Fillon est-elle tenable ?
La candidature de François Fillon est en danger de mort. L’image de marque du candidat Les Républicains se fonde sur la vérité, la valeur travail et le refus de l’assistanat. L’affaire Penelope, c’est une infraction à ces trois messages à la fois. La question du renoncement de François Fillon est donc posée. S'il renonce, il n’y a pas de légitimité plus forte que celle de la primaire à droite. Il faudrait ainsi qu'Alain Juppé se lance ou, s'il refuse, Nicolas Sarkozy. Et si les deux ne souhaitent pas s'engager, il faudrait que Les Républicains organisent une nouvelle primaire en février.
Quel constat faites-vous concernant les autres forces en présence ?
On assiste à un centre en recomposition, autour d'Emmanuel Macron. Il propose un grand mouvement de rassemblement des classes moyennes pour un projet de libéralisation avancée de la société française. C’était déjà le projet de Valéry Giscard d'Estaing, en 1974, notamment dans son livre Démocratie française. Emmanuel Macron est un remix de Valéry Giscard d'Estaing.
Et puis face à lui, la gauche pro-mondialisation a perdu avec Manuel Valls. La gauche altermondialiste hésite à présent entre deux scénarios. Un scénario Corbyn (chef du parti travailliste au Royaume-Uni, ndlr), où le leader est le nouveau chef altermondialiste du plus grand parti de la gauche. Ou alors un scénario Lula (ancien président de la République brésilien, ndlr), où le parti dominant à gauche se fait passer devant par un parti encore plus à gauche et altermondialiste. Dans ce cas, Jean-Luc Mélenchon serait dans le rôle de Lula.
Enfin, le FN, comme toujours en situation de tensions toujours plus fortes dans la société, propose un bouc émissaire, c’est-à-dire les Français d’origine magrébine. Quand les tensions sont très graves du fait de l’aggravation des inégalités et lorsqu'il y a un fort sentiment de déclin, un électorat disponible pour une proposition nationaliste a toujours répondu présent.
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Quelles conclusions en tirer en vue de la présidentielle ?
On ne peut pas savoir pour l’instant ce que donnera le premier tour de l’élection présidentielle. Car, il existe une première vague d’électeurs, déjà politisés, qui font leur choix très tôt. Ensuite, il y a une deuxième vague qui arrive vers le mois de février. Il s'agit d'un électorat moins politisé et plus précaire que la moyenne, qui commence à s’intéresser aux candidats. Vous allez ensuite avoir une troisième vague, encore moins politisée et qui se décidera dans les dernières semaines voire dans les derniers jours de la campagne. Il est donc impossible de pronostiquer maintenant ce que vont choisir ces deux dernières vagues.
L'élection semble pour le moment très floue. Comment expliquer cette incertitude ?
Deux questions structurent le débat de cette présidentielle : celle de la mondialisation et celle de la minorité musulmane. Il y a déjà ceux qui veulent adapter la France à la mondialisation sous sa forme actuelle, comme Emmanuel Macron ou François Fillon. Et puis il y a ceux qui veulent combattre ce système, par la version altermondialiste de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, puis celle nationaliste de Marine Le Pen.
La deuxieme question est celle de la minorité musulmane. Il y a ceux qui sont dans l’hostilité, comme Marine Le Pen et François Fillon. Et puis ceux qui sont dans le refus de la diabolisation de cette minorité, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron. En croisant ces deux questions vous avez donc quatre offres possibles. L’offre altermondialiste de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, l’offre libérale d'Emmanuel Macron, l’offre conservatrice de François Fillon et l’offre nationaliste de Marine Le Pen. C’est ce que j’appelle la quadripolisation de la vie politique française.
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Le système des primaires conduit-il à cet éclatement de la vie politique ?
Non, je pense que s’il n’y avait pas le système des primaires, les tensions dans les partis qui les organisent seraient encore plus graves. L’existence du mécanisme de la primaire permet de canaliser les tensions dans les partis en désignant le leadership par une procédure démocratique au lieu d’un combat dans les jeux d’appareil. La primaire est un énorme progrès.
Comment expliquer alors les élections surprises de Benoît Hamon et de François Fillon ?
L’électorat français est en radicalisation politique. Les lepénistes sont de plus en plus lepénistes, les altermondialistes sont de plus en plus altermondialistes, les libéraux plus libéraux et les conservateurs davantage conservateurs. La mondialisation sous sa forme actuelle produit une aggravation des inégalités dans la société française et conduit à des positions de plus en plus radicales dans l’électorat, avec notamment une fracture entre les gagnants et les perdants. Reste, aussi, le phénomène de l’islamopsychose, c’est-à-dire le mélange de peur et d’hostilité envers la minorité musulmane, avec une confrontation entre une partie des Français qui restent dans l’idéal de fraternité républicaine et l’autre France qui, elle, est dans une profonde hostilité.