L'approche des municipales tire de son sommeil la Petite Ceinture, voie ferrée en plein Paris où les trains ont laissé place aux herbes folles. Une jachère ferroviaire au riche potentiel, dont une partie ouvrira au public samedi sur fond de campagne électorale.
23 km de rails, 50 hectares de verdure, une biodiversité unique dans la capitale… Il n'en faut pas plus pour que les candidats s'emparent de cet objet urbain non identifié.
Les Parisiens la croisent sans la connaître, apercevant au détour d'une rue ou d'un parc ses rails envahis par les broussailles, vide urbain inattendu où la nature reprend ses droits le temps d'une parenthèse dans le béton.
Construite entre 1852 et 1869, cette voie ferrée a connu son heure de gloire en pleine révolution industrielle, transportant voyageurs et marchandises. Elle permet de faire le tour de Paris en 1h30, met en relation les grandes gares et ravitaille les fortifications militaires de Thiers.
L'arrivée du métro en détourne les Parisiens. Le trafic voyageurs s'interrompt en 1934, le transport de marchandises en 1993. Depuis, seuls quelques trains "évènementiels" ont roulé sur les rails.
Aujourd'hui en friche, sauf dans sa partie ouest où elle est empruntée par le RER C, la Petite Ceinture -- officiellement interdite d'accès -- est devenue le repaire des amoureux du Paris insolite, des graffeurs, et même des "cataphiles", plusieurs passages permettant d'accéder aux entrailles de la capitale.
Mais elle attire aussi les politiques, qui y voient un possible tremplin pour la mairie.
Dernière en date, la candidate UMP Nathalie Kosciusko-Morizet a appelé dimanche à faire de ce "lieu magique" une "boucle cycliste". "Ça fait 12 ans que la ville promet quelque chose. Mais en attendant elle n'a rien fait", a-t-elle attaqué.
La socialiste Anne Hidalgo, chargée de l'urbanisme à la Mairie, a pourtant fait de la Petite Ceinture une priorité de sa candidature aux municipales dès l'hiver 2012.
La dauphine de Bertrand Delanoë veut en faire "un espace de détente, de promenade et de respiration, le plus continu possible" -- une continuité qui fait débat, les deux tiers de la ligne se trouvant à l'air libre, le reste en tunnels.
Le candidat écologiste Christophe Najdovski souligne lui l'importance de garder "le côté sauvage" de cet "espace de respiration unique au cœur de Paris, qui présente un vrai déficit en espaces verts" - avec 3,9 m² d'espaces verts par habitants, quand l'Unesco en préconise 10.
"Potentiel de transport"
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Mais la Ville n'a pas attendu l'échéance électorale pour s'emparer du dossier. En 2006, un protocole a été signé entre la Ville et le propriétaire des voies, Réseau Ferré de France (RFF), pour permettre l'ouverture au public de certains tronçons et réaliser certains aménagements.
La Ville a interrogé habitants et experts, commandant une étude à l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) et organisant une concertation citoyenne début 2013.
Les conclusions de l'APUR, publiées fin 2012, proposent de scinder la Petite Ceinture en trois usages distincts: "vocation ferroviaire" maintenue à l'ouest et au nord, ligne de transport léger pour passagers et/ou marchandises à l'est, et une partie promenade au sud.
Mais avant de mettre en œuvre le moindre projet, la Ville devra négocier la location ou le rachat des terrains à RFF. Car la Petite Ceinture reste avant tout une voie ferrée du réseau national, comme le souligne l'Association pour la sauvegarde de la Petite Ceinture, où on s'offusque du terme "désaffecté" employé pour la décrire.
Pour le président de l'association Jean-Emmanuel Terrier, elle constitue surtout un "potentiel de transport, alors que les réseaux existants sont saturés".
"On peut aménager des pistes cyclables ailleurs, pourquoi choisir une voie ferrée déjà en place et qui peut servir?", interroge-t-il.
Trois tronçons de la voie ont déjà été aménagés en lieux de promenade, dans les 12e, 16e et 15e arrondissements. Dans ce dernier, un "corridor écologique" ouvrira au public samedi en présence de Bertrand Delanoë et Mme Hidalgo, dont l'action a été critiquée par le maire UMP de l'arrondissement Philippe Goujon comme un "investissement a minima".
"Mme Hidalgo voulait s'en servir (du tronçon) comme argument électoral, et un investissement minimal permet d'inaugurer plus vite", a-t-il lâché.