Durcissement de la crise économique, flambée du chômage et fermetures d'usine en cascade: le climat social se tend et la mobilisation s'amplifie, au point que les ex-RG scrutent "au plus près" les entreprises en difficulté pour anticiper toute éventuelle "radicalisation".
Après la phase d'attentisme qui a suivi l'arrivée en mai des socialistes au pouvoir, la contestation gronde depuis plusieurs semaines.
Goodyear, Renault, ArcelorMittal: grèves et manifestations se multiplient. Le ton est monté d'un cran chez PSA où, après des "dégradations" sur le site d'Aulnay, la direction a déployé des vigiles dans l'usine dont la production est paralysée par une grève. Mardi, des salariés de la fonderie DMI de Vaux (Allier) ont assuré avoir commencé "à mettre en place des bouteilles de gaz" pour menacer les propriétaires de "faire exploser l'usine" si une compensation à leur licenciement n'était pas trouvée, rappelant les menaces ou actions parfois violentes menées dans les années 2000 par des salariés désespérés de Cellatex, Metaleurop, Moulinex ou Continental.
Dans ce climat, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'est inquiété mardi des risques "d'implosions ou explosions sociales", assurant que ses services étaient mobilisés pour éviter tout débordement car "on ne peut pas casser l'outil de travail"
En Seine-Saint-Denis, où PSA cristallise les tensions, deux ou trois policiers du renseignement veillent à temps plein sur les conflits sociaux, pour "anticiper leur durcissement" éventuel et permettre aux autorités de l'Etat "d'essayer de les désamorcer", explique une source policière.
Autour de l'usine Renault de Flins (Yvelynes), "il y a de plus en plus de présence policière, avec plusieurs voitures banalisées", témoignait mardi Ali Kaya, délégué CGT. "La police a contacté des délégués syndicaux", a-t-il ajouté.
Il faut "éviter" d'éventuelles présences des forces de police sur les sites en difficulté, a prévenu le patron de la CGT Bernard Thibault, car elles seraient "vécues comme des provocations", et Lutte ouvrière (LO) a accusé le gouvernement d'être "un homme de main du patronat".
Sur le terrain, les meneurs syndicaux ne sont pas étonnés de la mobilisation des services de renseignement. Cela vise "à criminaliser notre action", a réagi Mickaël Wamen, délégué CGT de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord menacée de fermeture. "Le gouvernement, les directions d'entreprise veulent nous faire porter la responsabilité d'un embrasement social, alors que le gouvernement devrait plutôt faire porter la responsabilité pleine et entière aux patrons", dénonce le responsable cégétiste, taxé de jusqu'au-boutisme.
Pas question toutefois de toucher à l'outil de travail, "c'est notre bien le plus précieux", assure-t-il.
Le meneur CFDT d'ArcelorMittal Florange, Edouard Martin, se dit "inquiet de la tournure que ça peut prendre". "Dans la filière logistique (...), il y a énormément de jeunes: pour eux, c'est la plus grande incertitude. Je pense que ça peut péter, parce que la situation est très, très tendue", explique-t-il.
Un soubresaut des salariés du privé
"L'heure de la mobilisation a sonné", a averti la semaine dernière Thierry Lepaon, futur secrétaire général de la CGT, un ex-Moulinex.
Chez Renault, "certains ouvriers souhaiteraient que ça se radicalise un petit peu", assure David Dubois, de la CGT Douai. "Beaucoup de travailleurs m'ont attrapé sur le sujet. Dire que 8.000 personnes m'ont dit la même chose serait mentir. Après, ça va vite: une personne qui embarque l'autre et ainsi de suite, ça se radicalise assez fortement."
"Ceux qui ont animé les grands mouvements sociaux depuis 20 ans (en 1995, ou 2010 contre la réforme des retraites) étaient surtout des salariés du public et d'entreprises à statut, les salariés du privé, pourtant les plus touchés par la crise, ont souvent été en retrait. Avec le durcissement de la crise économique, on voit se multiplier des mouvements dans le secteur privé", note Dominique Andolfatto, auteur de "La sociologie des syndicats".
"Les mouvements restent cependant éclatés, parfois divisés", ce qui ne permet pas "une coagulation" des luttes, souligne l'historien, et le récent accord national sur l'emploi n'a fait que raviver les clivages entre confédérations.
Pour l'heure, les salariés ne se mobilisent pas massivement. La situation est loin des grands mouvements dans l'automobile des années 80 ou dans la sidérurgie dans les années 70. L'appel aux rassemblements lancé pour le 12 février aux salariés d'entreprises menacées pourrait être un test.