Désarroi économique, trafic de drogue et risque de désertification médicale : la pauvreté s'étend à Sevran (Seine-Saint-Denis), ville désargentée dont le maire EELV Stéphane Gatignon appelle à manifester vendredi devant l'Assemblée nationale.
"Les villes pauvres n'ont pas à faire les frais de la crise financière", résume un panneau sur l'hôtel de ville de cette commune de 51.000 habitants, dont le budget est inférieur de 35% au budget moyen des villes équivalentes.
M. Gatignon craint de devoir "mettre la clé sous la porte" faute d'"une réforme des finances et de la fiscalité locales", notamment une revalorisation de la dotation de solidarité urbaine (DSU), qui doit être votée en début de semaine prochaine à l'Assemblée.
Depuis les années 90 et la fermeture des usines Kodak et Westinghouse, qui la faisaient vivre, Sevran paie son statut de "ville-dortoir", acquis dans les années 70, lorsque sa population aux 70 quelque nationalités, a brusquement doublé.
A l'époque, la ville est "assez riche", se souvient Michel Prin, arrivé dans les années 60 pour travailler chez Kodak. "Personne ne se disait: +Un jour, là-dedans, il y aura des problèmes d'immigration, de drogue, etc+".
L'été, les deux usines pouvaient employer "plus de 2.000 personnes" chacune. "Quand un jeune cherchait du travail, le bouche à oreille fonctionnait très bien. Aujourd'hui, il n'y a plus de débouchés", dit cet ancien délégué CGT.
Totalement enclavée, sans autoroute ni route nationale, Sevran peine à attirer les entreprises, ce qui se répercute de manière dramatique sur la taxe professionnelle.
Le maire caresse un projet de développement économique sur 10 ans, qui demanderait "un milliard d'euros d'investissement" et pourrait créer "3.000 à 5.000 emplois", dans une ville où le taux de chômage flirte avec les 20% depuis plusieurs années.
"Tout le monde est dans la merde"
En attendant, l'argent de la drogue fait vivre des familles entières, avec des conséquences désastreuses pour la population. Entre 2009 et 2011, une dizaine de personnes sont décédées dans des affaires liées au trafic, suscitant la terreur des habitants.
L'arrivée des CRS en bas des immeubles fin 2011 a calmé la situation, mais le problème a été "déplacé" vers d'autres quartiers, selon Samir Kamiri, directeur du pôle "Tranquillité publique" de la ville.
A la tête de 18 "gardes urbains", M. Kamiri constate un niveau "constant" d'incivilités.
Ville de deals, Sevran est aussi devenue "lieu de consommation", ajoute Hervé Touitou, directeur de la santé, ce qui fragilise un peu plus une population déjà touchée par un "nombre plus important de complications liées à l'acool et au tabac", ainsi que par des cas d'obésité, de diabète et de tuberculose.
"Sevran commence à faire partie des déserts médicaux", soupire-t-il. A la tête du tout nouveau Centre municipal de santé, pour lequel la municipalité "a fait un gros effort d'investissement", il avoue avoir "beaucoup de difficultés" à recruter.
"Les spécialistes viennent faire une ou deux demi-journées par semaine. C'est leur caractère militant", dit-il. Le centre de radiologie a fermé faute de candidats: "Quel radiologue va venir travailler ici pour 30 euros de l'heure ?".
Les associations, historiquement très actives à Sevran, pâtissent de ces difficultés. Rougemont Solidarité (écrivain public, cours d'alphabétisation) a dû se séparer d'un de ses trois employés, selon Fatima Hamdi, l'une de ses fondatrices.
"Il n'y a pas que Sevran. Tout le monde est dans la merde. On risque une implosion totale des collectivités locales en 2013", conclut M. Gatignon.