De l'abattage rituel à la hiérarchie des civilisations, les controverses touchant l'islam qui ponctuent la campagne électorale, ont contribué à accroître les clivages dans les différentes composantes d'un culte musulman en France qui peine à parler d'une seule voix.
Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003, a annoncé mercredi que la réforme de ses statuts, prévue début 2012, était renvoyée après la présidentielle.
"Il faut permettre aux grandes composantes de réintégrer le CFCM", a-t-il répondu comme on l'interrogeait sur l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui s'élève contre le projet de réforme signé le 16 février.
L'UOIF, courant de l'orthodoxie conservatrice musulmane, avait refusé de participer aux élections pour le renouvellement des instances dirigeantes du CFCM, en juin 2011, contestant notamment le mode de désignation des délégués, proportionnellement lié à la superficie des lieux de culte.
Un mode favorisant les grandes mosquées ayant pignon sur rue, sans qu'elles soient forcément plus représentatives du quotidien des fidèles. Le nombre de musulmans en France est estimé à 3,5 millions, dont environ 800.000 pratiquants.
Au ministère de l'Intérieur, chargé des cultes, on admet que "la sérénité nécessaire pour engager une réforme du CFCM n'est plus réunie, du fait de l'élection présidentielle qui agite les esprits".
Il n'en reste pas moins que le projet de réforme, signé par le CFCM, repose sur trois points: un nouveau mode de gouvernance avec des consultations électorales plus espacées, une collégialité accrue, et une représentativité au m2 plus équilibrée.
Mais, l'UOIF et d'autres membres du CFCM, juge "consternant" d'avoir été informée "par voie de presse" d'un projet "discuté et finalisé sous l'égide de l'Intérieur par deux organisations: la Grande Mosquée de Paris (pro-Algérie) et le Rassemblement des Musulmans de France (pro-Maroc)".
Si au ministère, on parle d'un "assemblage de mécontents assez hétéroclite, qui n'offre aucune alternative", le risque, selon Franck Frégosi, spécialiste de l'islam au CNRS, est que "le CFCM passe pour représenter davantage les pouvoirs publics auprès des musulmans que les musulmans auprès des pouvoirs publics".
Ainsi, la réaction de M. Moussaoui aux propos de François Fillon sur les "traditions ancestrales" d'abattage rituel, a parfois été jugée tardive et timide par rapport à celle du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).
Le recteur de la Mosquée de Lyon Kamel Kabtane avait regretté que "le CFCM (ait été) dans l'incapacité de s'affirmer face aux pouvoirs publics, même face à des violations flagrantes de la laïcité".
"Reste que Mohammed Moussaoui, a su lever des blocages, et que le CFCM n'aurait pas vu le jour si la puissance publique n'était intervenue pour forcer les acteurs institutionnels à se mettre d'accord", relève Franck Frégosi.
"Mais, en cette période électorale, il y a eu un certain nombre de prises de position très véhémentes à l'égard de l'islam", explique le chercheur selon qui "certains secteurs musulmans commencent à être excédés par cette surenchère, par ces campagnes systématiques qui prennent l'islam comme un repoussoir".
Selon lui, certaines organisations comme l'UOIF, qui avait perdu de sa légitimité lorsqu'elle participait au dispositif officiel du CFCM, pourraient saisir cette occasion pour se recrédibiliser auprès d'une base militante: "Face à une forme d'+islam domestiqué+, l'UOIF, proche des Frères musulmans, pourrait tenter de reconquérir la part de marché, plus revendicative, qu'elle avait perdue."