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Les 20 meilleures BD de 2019

Cassandra Darke de Posy Simmonds est l’une des BD qui marquera certainement 2019 Cassandra Darke de Posy Simmonds est l’une des BD qui marquera certainement 2019[© Posy Simmonds / Denoël Graphic]

Anticipation, thrillers, raison et sentiments, humour... La bande dessinée se décline à toutes les sauces et pour tous les goûts. Voici les BD qu'on a préférées en 2019.

«Les Cahiers d'Esther, Histoires de mes 13 ans», de Riad Sattouf

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©Riad Sattouf / Allary éditions

Tout démarre en 2015 lorsque Riad Sattouf décide de consigner en cases et en bulles le quotidien d’une jeune fille qu'il connaît et qui lui raconte régulièrement ses joies et ses déboires. Si les trois premiers tomes s’intéressaient respectivement aux dix, onze et douze ans de l’anonyme qui se cache derrière Esther, cette fois, cette dernière entre de pleins pieds dans l’adolescence avec ces « Histoires de mes 13 ans ». La petite fille a désormais laissé sa place à la jeune ado qui porte un appareil dentaire, n'a pas le droit d'utiliser son téléphone portable chez elle, vit sa première expérience amoureuse par SMS (et première déception), découvre que son frère n’est pas qu’un ennemi, développe un complexe sur la taille de ses mains, tente d’aller à sa première fête chez un garçon de sa classe ou encore se rapproche étrangement de sa mère.

Ce qu'on a aimé :

Observateur du réel surdoué, Riad Sattouf se glisse dans la peau d’Esther pour en retirer toute son essence. Comme à son habitude, l’auteur de « L’Arabe du futur » ne chausse jamais de gros sabots et si ses planches déclenchent souvent le rire, les histoires ici racontées le sont toujours avec finesse et sensibilité. Que les phobiques du « parler jeune » se rassurent. Riad Sattouf tient la main de son lecteur pour l’intégrer avec bienveillance au monde des ados. D’ailleurs, c’est par la voix d’Esther que les expressions et mots de son quotidien sont décortiqués, explicités. Ici, les « jeunes » ne deviennent pas un prétexte au gag, ni à la critique facile, Riad Sattouf se met à leur hauteur pour mieux comprendre toute la complexité de cet « âge ingrat ». Esther touche au cœur par le biais de ses réflexions tendres sur sa famille, ses amis et ce qu’elle vit à travers les transformations de son corps. De quoi réveiller la jeune personne de 13 ans qui sommeille encore en chacun des lecteurs. Une réussite totale.

Riad Sattouf, «Les cahiers d’Esther, histoires de mes 13 ans», Allary éditions, à paraître le 16 mai, 16,90€.

«Le retour à la terre», T.6, « Les métamorphoses », de Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri

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©Larcenet / Dargaud

Le retour du « Retour à la terre » après une pause de dix ans. Dans ce sixième album, baptisé Les métamorphoses, Manu Larssinet (pseudo volontairement mal camouflé de Larcenet, le dessinateur) est toujours installé en pleine cambrousse , dans le hameau des Ravenelles, avec Mariette et leur fille, Capucine. S’il a enfin mis un terme à sa grande œuvre, Plast, à la noirceur légendaire, il se heurte toujours aux grandes questions de l’existence. Sa future paternité l’angoisse, le sens profond de la vie le terrifie et il envisage même d’arrêter la BD. Une situation qu’il pourrait tout à fait gérer, si Mme Mortemont, la vieille voisine, n’avait pas récemment découvert le smartphone et les émojis, pour le meilleur et pour le pire.

Ce qu'on a aimé :

Drôle, poétique, quasi mystique… Les qualités de la bande dessinée, qui raconte la mise au vert d’une famille de citadins, n’ont pas changé. Elle plaira aux fans de la première heure comme aux malheureux qui ne connaissaient pas encore les formidables aventures du double littéraire de Manu Larcenet.

Le retour à la terre, T.6, «Les métamorphoses», Manu Larcenet, Jean-Yves Ferri Dargaud, 12€.

«Cassandra Darke» de Posy Simmonds

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©Posy Simmonds / Denoël Graphic

Cassandra Darke n’est pas à proprement parler ce qu’on appelle « une charmante personne». Son obsession ? Parvenir à garder un minimum de confort alors qu’elle a envoyé par le fond la galerie d’art de son défunt ex-mari en se faisant pincer pour fraude. La vieille et grosse dame vit ainsi seule dans sa maison très chère de Chelsea jusqu’au jour où la fille de son ex-mari, Nicki, vient s’installer dans son sous-sol aménagé. En échange de services quotidiens, la jeune femme aussi perdue que naïve n’aura pas de loyer à payer. Alors que les relations avec Nicki sont très loin d’être au beau fixe, Cassandra trouve une arme dans la poubelle de la jeune femme. De quoi mêler Cassandra à une sombre histoire de meurtre...

Ce qu'on a aimé :

Jamais roman graphique n’aura si bien porté son nom. Ici, Posy Simmonds ne se met aucune barrière formelle et n’hésite pas à alterner longs passages écrits avec illustrations parfois XXL et des cases de bande dessinée presque classiques. L’auteur de Tamara Drewe et de Gemma Bovery manie humour noir et polar pour au final dresser un portrait sans concession de la bonne société londonienne d’aujourd’hui à travers le regard plus qu’affuté de la détestable Cassandra. Un véritable bijou de noirceur et de finesse.

Cassandra Darke, Posy Simmonds, Denoël Graphic, 21 €.

«Un putain de salopard» de Loisel et Pont

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Tout débute en 1972. Max vient de perdre sa mère qui lui a laissé deux photos de lui bébé en compagnie de deux hommes différents. L’un des deux, potentiellement « un putain de salopard » selon les dires de certains, serait son père. De quoi décider le jeune homme à partir en quête de ses origines dans un petit village brésilien situé au cœur de l’Amazonie, là même où il passa les trois premières années de sa vie. A peine arrivé, Max rencontre alors un couple d’infirmières venu prendre le pouls d’une région plutôt réputée hostile. Très rapidement, la joyeuse équipée va jouer de malchance quand elle ne fera pas de très mauvaises rencontres.

Ce qu'on a aimé :

Régis Loisel n’a certes plus rien à prouver. Il n’empêche que le Grand Prix d’Angoulême 2003 montre toute l’étendue de son talent de conteur dans ce « putain de salopard » qui ne laisse jamais le lecteur au repos. Ici, pas de temps mort ni de personnages mal dégrossis, on s’installe avec plaisir aux côtés de Max, des deux pétillantes infirmières et de Baïa, une  mystérieuse jeune femme muette, sans jamais se désolidariser de leur aventure. De son côté, Olivier Pont, autant reconnu pour son trait léger et dynamique dans la BD (« Où le regard ne porte pas », Dargaud, Grand prix RTL de la BD, 2004) que pour son talent de réalisateur (il a notamment réalisé 4 épisodes de la qualitative série « Ainsi soient-ils sur Arte ») met en scène avec force et délicatesse cette histoire trépidante. Les deux hommes  – des amis de 25 ans – unissent leurs talents pour créer leur première BD commune. Le résultat : 88 pages de récit rocambolesque, de cadrages originaux et de personnages attachants ou complètement cinglés. A en croire les auteurs, cette histoire qui se finit ici par un cliffhanger inattendu devrait être bouclée en 3 ou 4 tomes. La difficulté est désormais d’attendre calmement la suite.

«Un putain de salopard», Tome 1: «Isabel», éd. Rue de Sèvres, 17 €.

«Ada et Rosie» de Dorothée de Monfreid

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©Dorothée de Monfreid/Casterman

Les parents la connaissent déjà pour ses livres jeunesse, notamment pour son inénarrable série pachydermique des «Coco». Dorothée de Monfreid a cette fois compilé et publié ses planches créées pour Libération. Il est question ici de famille, de filles et surtout de grands et petits tourments de l'existence. Ada est une ado porteuse de contradictions, d’angoisses existentielles et d’autres effets secondaires de la puberté. L'amour, la rentrée scolaire, les vacances en famille, le marché du travail… Ada et sa petite sœur Rosie parlent de tout sans ciller, prennent leur mère pour une bonne à tout faire et leur père pour le livreur de pizzas en chef.

Ce qu'on a aimé :

Drôle, intelligent et surtout bourré d’expériences vécues que l’on devine à travers cette famille où les relations mère-fille aussi compliquées que remplies d’élans de tendresse sauront parler à nombre de mères. Le trait est vif, le propos frais, intelligent et plein de cocasseries.

«Ada et Rosie», «Mauvais esprit de famille», Dorothée de Monfreid, Casterman, 12,99€.

«La princesse de Clèves» de Claire Bouilhac et Catel

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©Catel/Bouilhac/Dargaud

Une demoiselle ravissante. Âgée d’à peine seize ans, la fille de Madame de Chartres croise, chez un bijoutier, le regard de Monsieur de Clèves qui tombe instantanément amoureux d’elle. L’union, acceptée par la famille, est vite célébrée. Si la jeune femme apprécie la gentillesse et les délicates attentions de son mari, elle ne partage néanmoins pas ses sentiments. Une danse bouleversante avec le très coureur duc de Nemours va lui faire connaître des sentiments jusqu’alors inconnus.

Ce qu'on a aimé :

Spécialiste des portraits de femmes (Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker), Catel s’associe à la scénariste et dessinatrice Claire Bouilhac (avec qui elle a signé «Rose Valland» chez Dupuis) afin de donner naissance à une adaptation éponyme du célèbre roman de Madame de La Fayette, féministe avant l’heure. Le duo donne ainsi à lire une élégante oeuvre graphique aux dialogues fidèles à l’originale. Habilement, les 216 pages retranscrivent tout le dilemme intérieur de la jeune femme tiraillée entre passion et besoin de ne pas trahir un mari prévenant. Un prologue et un épilogue dessiné par Catel mettent en lumière la genèse de l’oeuvre publiée anonymement en 1678.

La princesse de Clèves, Claire Bouilhac et Catel d’après Madame de La Fayette, Dargaud, 24,99 €.

«Les aventures de Jérôme Moucherot» de François Boucq

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©François Boucq / Le Lombard

Nouveau défi. Jérôme Moucherot, le truculent agent d’assurance au costume léopard créé en 1984 par François Boucq dans le magazine (À suivre), revient pour une nouvelle plongée dans l’absurde. Au sortir de chez soi, l'homme va se voir confronté à une jungle épaisse peuplée d'éléments étranges qui pourrait le pousser à réfléchir sur sa vie. Ou pas.

Ce qu'on a aimé :

Avec «Une quête intérieur tout en extérieur, histoire de pas salir chez soi», François  Boucq s’amuse avec les mots et les formes et confronte son personnage drolatique à sa vie intérieure, entre souvenirs encombrants, secrétaires nymphomanes et démon méchamment attiré par la boisson. De la haute voltige en bulles.

Les aventures de Jérôme Moucherot, Une quête intérieure tout en extérieur, histoire de pas salir chez soi, François Boucq, Le Lombard, 20,50€.

«Le dernier Atlas», tome 1 de vehlmann, bonneval, tanquerelle et blanchard

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©Vehlmann/Bonneval/Blanchard/Tanquerelle/ Dupuis

Dans une année 2018 fantasmée, Tayeb, un gangster nantais, est confronté à une menace qui le dépasse. Du désert algérien aux bidonvilles indiens, l’homme de main malin tente de récupérer un robot géant surpuissant, le fameux Atlas. Cette technologie a été développée par la France il y a plusieurs décennies, mais abandonnée depuis.

Ce qu'on a aimé :

Polar ? Science – fiction ? Chronique sociale ? Le dernier Atlas est un peu tout cela à la fois. Dans cette nouvelle trilogie co-signée par le quatuor plus que talentueux constitué de Vehlmann, Gwen de Bonneval, Blanchard et Tanquerelle, c’est une version alternative de notre époque qui est proposée, une uchronie inquiétante, pleine de surprises et de menaces. Dès lors, les intrigues se mêlent avec une grande crédibilité, les époques aussi, ce qui rappellera des souvenirs émus aux lecteurs du manga culte «20th Century Boys».

«Le dernier Atlas», tome 1, de Vehlmann, Bonneval, Blanchard et Tanquerelle, éd. Dupuis, 24,95 €.

«le patient» de timothé le boucher

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©Glénat

Dans ce nouvel album signé Timothé Le Boucher, qui compte pas moins de 300 pages, on y suit la longue thérapie de Pierre Grimaud, 21 ans, unique rescapé de la tuerie sanglante de toute sa famille, baptisée par la presse le «massacre de la rue des Corneilles». A son réveil, après plusieurs années de coma, l’adolescent de 15 ans qu’il était au moment des faits est pris en charge par la psychologue Anna Kieffer, spécialisée sur les questions de criminologie et de victimologie. Paralysé, amnésique et en proie au hallucinations, Pierre évoque la présence mystérieuse d’un «homme en noir» qui hante ses rêves. Pour le libérer de ses démons et éclaircir les circonstances du drame, Anna tente de stimuler sa mémoire grâce à des séances thérapeutiques d’hypnose. Mais page après page, leurs relations médecin-patient vont devenir plus étroites.

Ce qu'on a aimé :

Après le succès de son roman graphique «Ces jours qui disparaissent», dont une adaptation au cinéma est en cours, Timothé Le Boucher récidive avec ce thriller psychologique de haute volée explorant le rapport à l’autre, la notion du temps qui passe, de l’identité et de la mémoire. A travers le jeu de séduction et de manipulation qui s’installe progressivement entre les deux protagonistes, l'auteur sème un trouble vertigineux quant au rôle de chacun, au point de ne plus savoir qui est la véritable victime de ce sombre scénario. Dans un décor hospitalier, Timothé Le Boucher, un couteau à la main, prend au piège le lecteur jusqu’à la dernière page, aidé par un dessin inspiré du manga, aux traits joliment épurés, et laissant parler les regards.

«Le Patient», Timothé Le Boucher,éd. Glénat.

«Le dernier Pharaon» de François Schuiten, Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael

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© François Schuiten/éd. Blake et Mortimer/Dargaud

Blake a grimpé dans sa hiérarchie et s’est éloigné peu à peu de Mortimer, en proie à de vilains cauchemars depuis leur aventure en Egypte, et qui entame une retraite bien amère à Londres. Pourtant, au début des années 1980, lorsque de terrifiantes radiations s’échappent du Palais de justice de Bruxelles, entraînant l’arrêt de tous les réseaux électriques et électroniques des alentours, Blake va de nouveau devoir faire appel à Mortimer. La ville est alors évacuée, le Palais de justice placé sous une cage de Faraday. Peu à peu, la nature y reprend ses droits, les animaux sauvages y reviennent. Mais subitement, le rayonnement reprend. L’armée décide d’envoyer ses missiles sur la ville «morte». Blake sent le danger et fait de nouveau appel à son vieil ami…

Ce qu’on a aimé :

Terminée l’image vieillotte des aventures de Blake et Mortimer, ces deux héros imaginés en 1946 par Edgar P. Jacobs, l’un des fondateurs de «La ligne claire» avec Hergé. Un quatuor d’artistes – François Schuiten au dessin et scénario, le réalisateur Jaco Van Dormael et l'écrivain Thomas Gunzig au scénario ainsi que le grand affichiste Laurent Durieux aux couleurs - s’est attaqué sans complexes aux mythiques Blake et Mortimer.  Ici, François Schuiten ne fait pas dans le compromis. Le créateur des Cités Obscures délaisse la «Ligne claire» chère à Edgar P. Jacobs et imprime de sa patte cette aventure, brossant les grandes perspectives du Palais de Justice et de la ville avec son vertigineux coup de crayon. Les couleurs de Laurent Durieux donnent à l'aventure une ambiance crépusculaire et fascinante. Pourtant, l’album ne se montre pas avare de clins d’œil au créateur disparu en 1987, et puise ses racines au coeur de la série. L’histoire du «Dernier pharaon» débute là où on avait laissé les deux héros à la fin du mythique «Mystère de la grande pyramide» (les quatrième et cinquième albums écrit et dessinés par Edgar P. Jacobs) et les fans pourront retrouver de nombreux éléments déjà imaginés par Edgar P. Jacobs.

Enfin, François Schuiten, Jaco Van Dormael et Thomas Gunzig ont eu l’idée de déplacer dans le temps les faits pour créer une aventure «hors série» aux résonnances écolos bien actuelles. Bruxelles est rendu à la nature. Une petite communauté y vit cachée et heureuse, jouissant de ce que leurs cultures leur offrent. On y croise des enfants « makers », des migrants ayant trouvé refuge chez des gens qui ne regardent pas leurs papiers, des cerfs broutant au milieu des rues de la capitale belge, et même un ancien trader traumatisé par sa vie d’avant qui voit en Mortimer un espion du monde moderne. Le lecteur, lui, fasciné par les univers parallèles inventés par Schuiten et ses compères, comme par ce Bruxelles privé de croissance économique et d'électronique, pourrait bien refermer cet album en rêvant à son tour d’un monde nouveau.

« Blake et Mortimer, Le dernier Pharaon », Schuiten, Van Dormael, Gunzig, Durieux, éd. Blake et Mortimer, 17,95€.

«Il fallait que je vous le dise» d'Aude Mermilliod

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Si certains pensent que l'avortement est devenu un acte «anodin», il faut bien le constater : les témoignages sur l’avortement restent rares. Avec « Il fallait que je vous dise », la blogueuse Aude Mermilliod, plus habituée aux compte-rendus de voyage qu'aux sujets de société, livre le récit de son avortement survenu il y a quelques années.

A la première personne, sans détours, la jeune femme raconte simplement son histoire. Comment est-elle tombée enceinte ? Comment a-t-elle pris la décision d’avorter ? Elle raconte d’abord la faim, les nausées, la fatigue… Ces premiers signes de grossesse qu’elle ne peut se résoudre à voir, sa colère et sa détermination, ce moment presque fascinant que fut l’échographie, puis enfin l’avortement, ses complications, les paroles bienveillantes de ses proches, les gestes plus ou moins adroits des soignants, des ami(e)s, des garçons.

Ce qu’on a aimé :

Tournée volontairement vers les sensations, « Il fallait que je vous dise » fait entrer de plain-pied le lecteur au cœur de l’avortement et de ce qu’il peut représenter. Les couleurs douces et claires des dessins de la jeune femme contrastent habilement avec la solitude de ce moment. Et pour que cette expérience ne reste pas « qu’un » vécu, Aude Mermilliod a eu la bonne idée de rencontrer le médecin et écrivain Martin Winckler («La maladie de Sachs») qui, à son tour, livre avec grande sincérité son expérience. Ce sera le point de départ de sa bande dessinée : elle contacte l’homme et le rencontre. Le médecin-écrivain lui raconte alors son parcours, son engagement pour le droit à l’avortement d’avant la loi Weil, puis quelques années plus tard la décision de le pratiquer. Au gré de sa pratique, il se rend compte qu'écouter les femmes lui a appris à devenir meilleur médecin. En parallèle à l’expérience de l’auteure, l’histoire de Martin Winckler et de ses patientes touche tout aussi profondément, bouscule les idées reçues et rend ainsi ce livre profondément universel.

« Il fallait que je vous le dise », Aude Mermilliod, Casterman, 22€.

«L'Odyssée d'Hakim» de Fabien Toulmé

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© Fabien Toulmé / Delcourt

Hakim, jeune syrien à la vie tranquille, voit sa vie basculer avec la guerre civile. Du jour au lendemain, il doit tout quitter : sa famille, ses amis, son entreprise jadis florissante. Fruit des conversations entre Hakim (le prénom a été changé) et Fabien Toulmé, «L'Odyssée d'Hakim» raconte le périple de ce jeune homme. Si le premier tome abordait le départ de Syrie et l'arrivée d'Hakim en Turquie, ce deuxième volume emmène le lecteur jusqu'en Grèce. Hakim est tombé amoureux et est désormais devenu père, il devra faire des choix fort pour sa famille.

Ce qu'on a aimé :

Dans un graphisme qui ne déplaira pas aux fans de Guy Delisle, Fabien Toulmé («Ce n'est pas toi que j'attendais», éd. Delcourt) raconte avec une grande sensibilité le destin de ce jeune homme. Si les problématiques géopolitiques sont évidemment abordées et que le premier album permettait de mieux comprendre ce qui s'est joué en Syrie au début de la guerre civile, ici il n'est pas question de problématiques migratoires, mais bien de la vie d'un homme, d'une famille. A la lecture de «L'Odyssée d'Hakim, t.2», le lecteur ne peut que devenir l'un des membres de cette famille syrienne qui tente uniquement de survivre. Que ferions-nous dans le cas d'Hakim ? Vers qui et vers où se tourner quand on a tout perdu ? Comment se reconstruire ? Toutes ces questions sont esquissées avec grande finesse à travers le destin d'Hakim et sa famille. En outre, l'histoire est palpitante et menée avec talent. De quoi attendre le troisième volume avec d'autant plus d'impatience.

«L'Odyssée d'Hakim», T. 2, de la Turquie à la Grèce, éd. Delcourt, 24,95 €.

«Hollywood Menteur» de Luz

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© Luz / Futuropolis

Luz plonge dans le tournage de «The Misfits» («Les désaxés»), chef d'oeuvre crépusculaire de John Huston, écrit par Arthur Miller mais aussi dernier film achevé de la compagne de ce dernier : une Marilyn Monroe en souffrance. Autre star du film : Clark Gable, qui mourra quelques jours après la fin du tournage. On y croise aussi un Montgomery Clift perdu et esseulé et la sévère Paula Strasberg qui tente de donner des directions de jeu à son élève, Marilyn.

Ce qu'on a aimé :

Luz s'empare d'un mythe du septième art pour passer de l'autre côté du miroir. Loin des «Poupoupidou», Marilyn s'avère être une femme malade (elle était certainement atteinte d'endométriose, ce qui lui occasionnait beaucoup de douleurs) et en colère. Montgomery Clift se montre hanté par le fantôme d'un James Dean mort au volant de sa Porsche et Clark Gable n'est plus que l'ombre de lui-même, usé et déjà loin du monde. De cette BD - reportage, forte d'un Noir et Blanc somptueux et emprunte d'une certaine rage, émerge un autre propos. Victime des attentats de Charlie Hebdo, Luz possède bien des points communs avec cette Marilyn.

Comme la star de «certains l'aiment chaud», l'auteur reste prisonnier de son image et du symbole qu'il est devenu malgré lui. Comme elle aussi, il lutte contre une triste réalité. Marilyn souffrait d'une maladie intime dont elle ne pouvait parler, Luz, lui, reste en proie à de réelles menaces, n'est plus libre de ses mouvements, surveillé en permanence. «Hollywood menteur» est aussi l'occasion de regarder dans les yeux une femme dans ce milieu d'hommes et quelques génies de la caméra, en proie à leurs angoisses et vieillissants. L'envers du décor façon #Metoo qui donne envie de regarder les humains derrière les masques.

«Hollywood menteur», Luz, éd. Futuropolis, 19€.

«Les Indes Fourbes» d'Alain Ayroles et Juanjo Guarnido

Cette fois, pas d’animaux parlant. Tous deux à l’origine de séries cultes, le scénariste Alain Ayroles (De Cape et de Crocs), et le dessinateur Juanjo Guarnido (Blacksad) ont imaginé leur histoire comme une suite au roman picaresque de Francisco de Quevedo, «El Buscón», paru en 1626 mais resté célèbre de l’autre côté des Pyrénées, à l’instar d’un Don Quichotte. Dans la BD, le héros, Don Pablos de Segovie, va traverser l’Atlantique, et se retrouver embarqué dans d’improbabes péripéties. Ce Pablos est un filou, né tout en bas de l’échelle sociale, mais qui compte bien la gravir à force de mensonges, vols, trahisons, et meurtres s’il le faut. Après tout, dans ces Indes ou le rêve de l’Eldorado est encore présent, la frontière entre l’aventurier et le vaurien est ténue.

Ce qu'on a aimé :

Alain Ayroles et Juanjo Guarnido ont mis en commun leur (immenses) talents pour livrer un sublime album qui fleure bon l’aventure. Un travail titanesque de près de dix ans, pour ce récit baroque dont l’action se déroule du côté du Nouveau Monde, encore appelé les Indes pendant ce Siècle d’or espagnol. Avec son grand format, ses 150 pages, toutes ses cases peintes à l’aquarelle, et son récit à tiroirs mêlant satire et burlesque qui réserve de nombreuses surprises, les deux auteurs signent l’un des albums de la rentrée, et déjà un futur classique. Expressivité des visages, choix des couleurs et des cadrages, et textes ciselés plongent le lecteur dans cette ambiance hispanique au temps de Vélasquez. De quoi espérer bientôt une nouvelle collaboration ?

Les Indes fourbes, Ayroles, Guarnido, éd. Delcourt, 34,90€.

«Leonard2Vinci» de Stéphane Levallois

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© Stéphane Levallois / Futuropolis

Designer et story-boarder connu par le tout Hollywood pour ses créations, notamment pour les films de Ridley Scott ou encore de Steven Spielberg, Stéphane Levallois sait aussi être un génial auteur de bande dessinée. Quand ce dernier s’attaque à Leonard de Vinci, cela donne «Leonard2Vinci», une bombe graphique que ce virtuose du dessin qualifie simplement de « Space Opéra ».

Il fallait y penser. L’histoire part d’une véritable empreinte digitale de Leonard de Vinci retrouvée derrière son tableau de La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne. « Quand j'ai appris cela, j’ai pu imaginer une histoire se déroulant dans le futur où des brins d’ADN seraient prélevés pour fabriquer un clone de Leonard » , explique l’auteur de cet album de 96 pages alternant entre noirs et blancs magnifiques et couleurs provenant des tableaux du génie.

Le point de départ de l’album se situe en 15018. Grâce à l’ADN du grand maître florentin, Leonard2 est créé dans l’espoir de sauver ce qui reste de l’humanité face à une armada d’extraterrestres désireux d’exterminer les derniers terriens en déroute à travers l’univers. Pour les survivants embarqués dans un vaisseau spatial, seul un génie tel que Leonard de Vinci (ou son clone donc) serait capable d’inventer un moyen de les sauver. Ce sera la mission du jeune Leonard2…

Ce qu'on a aimé :

Stéphane Levallois semble avoir vécu mille vies mais sa vocation de dessinateur ne possède qu'une origine. « J’ai commencé à apprendre à dessiner avec de Vinci », confesse le dessinateur de 49 ans lors d’une visite au Louvre auprès des œuvres du peintre. Plus que plaquer les œuvres de Leonard de Vinci sur son histoire, ce «créateur de mondes» s’est amusé à reproduire dessins et peintures en poussant le défi jusqu’à utiliser les mêmes techniques que celles utilisées par le génie, notamment celle de la hachure. Pendant plus de deux ans, le dessinateur s'est alors enfermé dans son atelier. Le résultat est assez bluffant. Les personnages reproduits ou inspirés de la technique inventée par Leonard de Vinci sont extrêmement émouvant. L’histoire est, elle, porteuse de questionnements plus généraux. Leonard de Vinci, génial inventeur en son temps, aurait-il été capable de sauver l’humanité face aux dangers qui la menacent ? Les avancées techniques peuvent-elles tout face à notre extinction ? Cette bande dessinée reste aussi tout simplement une belle porte d’entrée vers l’univers de Leonard de Vinci, son trait si particulier et ses inventions toujours plus troublantes cinq cents ans après sa mort.

Leonard2Vinci, Stéphane Levallois, Futuropolis, 96p., 20€.

«In Waves», d'Aj Dungo, Casterman

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© AJ Dungo/Nobrow/Casterman

Attention, mouchoirs à prévoir. Première BD et déjà la promesse d'un grand auteur. L'américain Aj Dungo livre un double récit assez étonnant : une passion amoureuse aussi belle que tragique fait ici face à l'histoire du surf et de ses pionniers.

Encore au lycée, Aj rencontre Kristen. Alors qu'ils tombent amoureux, la jeune fille tombe malade. Atteinte d'un cancer des os qui allait l'emporter dix ans plus tard, elle continue néanmoins à surfer. Avant de décéder en février 2016 à l'âge de 25 ans, la jeune femme fait promettre à Aj Dungo d'immortaliser leur histoire. C'est ce que le jeune californien raconte dans cet épais roman graphique addictif et bouleversant. Au fil des couleurs douces et du trait tout en douceur du jeune universitaire, l'histoire d'amour des deux jeunes gens se dessine. Leur rencontre d'abord, puis leur passion pour le surf, les virées entre copains sur les vagues, et enfin, la maladie, entre rechutes, amputation d'une jambe - qui n'altèrera en rien la passion de Kristen pour la glisse et la mer -.

Ce qu'on a aimé :

Entre les différentes étapes de leur histoire, Aj Dungo prend le parti passionnant d'insérer des chapitres sur deux grandes figures de l'histoire du surf, à savoir Tom Blake et Duke Kahanamoku, le tout dessiné en bichromie sépia. Pourquoi un tel grand écart dans les sujets abordés ? En s'intéressant au travail d'Aj Dungo, Sam Arthur, un éditeur londonien, lui propose de réaliser un livre illustré sur la culture du surf en Amérique du Nord. Au fil des échanges entre Sam Arthur et Aj Dungo, ce dernier raconte son histoire d'amour avec Kristen. «Après cette conversation, un roman graphique mêlant son histoire et celle de Kristen au surf me parut évident», témoigne Sam Arthur. Cette évidence se ressent immédiatement. Les insertions sur les premiers hawaïens surfeurs, les «beach boys» et enfin les vies de Tom Blake et Duke Kahanamoku sont autant de respirations dans l'histoire douloureuse de Kristen et Aj, que de clés de compréhension pour appréhender la passion de Kristen pour le surf.

Au final, ce livre peut rester un bel exemple dans l'art d'émouvoir sans pour autant être un «tire-larmes», à la hauteur du courage de cette jeune femme face à la maladie, de la dignité d'Aj Dungo face au deuil et à l'humilité des surfeurs face aux éléments. Bouleversant et juste.

«In waves», d'Aj Dungo, Casterman, 376 p., 23 €.

«Faut pas prendre les cons pour des gens», d'Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud, éd. Fluide glacial

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© E.Reuzé / N.Rouhaud / Fluide Glacial

Un homme, l'oeil rivé sur un tuto Youtube, qui conseille son chirurgien pendant une opération, un casse de banque par «télébraquage», des parents qui expulsent du territoire leur bébé car il ne sait pas parler fraçais ou encore un sdf qui choisit son carton au salon de l'habitat... Les gags imaginés par Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud plairont aux adeptes de l'absurde. Dans un style semi-réaliste, le duo d'auteurs s'amuse avec des thèmes d'actualité pourtant très sombres comme le suicide en entreprise, les fanatiques religieux, les prêtres pédophiles ou les migrants.

Ce qu'on a aimé : tout est dans le titre au non-sens équivoque. Amateurs d'absurde et d'humour noir, courrez en librairie. Chaque planche est à se plier en deux tant les auteurs ont soigné les chutes et le décalage entre le style graphique d'Emmanuel Reuzé, le dédoublement des cases, les situations et les dialogues. Et au-delà de leur indéniable talent, le duo sert une satire sociale plutôt fine et tourne le quotidien, comme le mal ordinaire, en dérision avec un culot exraordinaire. «L'absurde ne doit pas servir à déconnecter la réalité, mais au contraire à la faire grincer plus fort», explique Emmanuel Reuzé. Pari plus que réussi.

Faut pas prendre les cons pour des gens, Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud, Fluide glacial, 56 p., 12,90€.

«Le roman des Goscinny», de Catel, éd. Grasset

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© Catel / Grasset

Un projet audacieux. Comment s'attaquer au monument du neuvième art qu'est René Goscinny ? Célèbre pour ses biographies de femmes en BD («Kiki de Montparnasse», «Olympe de Gouges»...), Catel traite cette fois de la vie d'un homme, vu par une femme. En l'occurrence, Anne Goscinny, la fille de René Goscinny. La dessinatrice a passé de longues heures à discuter de ce père disparu avec celle qui deviendra son amie. Durant quatre ans, l'auteure a ainsi travaillé sur la vie du papa du célèbre petit gaulois et livre 320 planches, en couleur, sur ce que fut l'existence de l'auteur que l'on imagine foisonnante. Né dans le Paris des années 1920 dans une famille juive exilée de Pologne et d'Ukraine, René Goscinny suivra ses parents et son grand frère en Argentine. Là-bas, on découvre un Goscinny déjà espiègle mais doué à l'école, puis vient le décès de son père, puis d'une partie de sa famille restée en Europe et déportée dans les camps d'extermination nazis.

Le jeune René Goscinny se rend ensuite à New York avec sa mère, où il imagine pouvoir travailler dans le cinéma, le dessin animé, et où finalement il tente juste de survivre. A Bruxelles puis à Paris, le jeune homme se trouve enfin. Pour lui, ce sera l'écriture. Il crée ainsi les aventures désormais célèbres du «Petit Nicolas» avec Sempé, de «Lucky Luke» avec Morris, sans oublier les années «Pilote» ou «Astérix et Obélix» avec Uderzo. C'est d'ailleurs au synopsis des voyages des deux gaulois que va s'arrêter Catel, comme si le reste de l'histoire appartenait à tous.

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© Catel / Grasset

Ce qu'on a aimé : que pouvait apporter la mise en scène de ces discussions entre ces femmes ? N'était-ce pas trop risqué de choisir un récit à deux voix ? Avec cette idée astucieuse de placer Anne Goscinny en protagoniste du récit, Catel réussit son pari et offre une vision très sensible et intelligente de ce géant de la BD. Le récit s'avère intimiste mais jamais «tire-larmes». De la vie de Goscinny, l'auteure de «Joséphine Baker» retient à quel point l'humour et l'amitié furent ses moteurs malgré les malheurs et les désillusions. Elle parvient à toucher du doigt l'essence du génie de Goscinny par touches et montre toute l'humanité du scénariste qui se cachait derrière ses héros inoubliables.

«Le roman des Goscinny», de Catel, éd. Grasset, 344 p., 24,80€.

«Une année sans Cthulhu», de thierry smolderen et alexandre clérisse

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Back to the Eighties ! A Auln-sur-d'Arcq, petite ville du sud-ouest de la France, une bande de lycéens cherche à tuer le temps comme elle le peut, en cette année 1984. Pour certains, comme Samuel, Marie ou Henri, l'évasion c'est se réunir dans le cimetière du coin pour des parties endiablées de jeu de rôle. Leur favori ? «L'Appel de Cthulhu», qui permet de s'immerger dans l'univers horrifique des oeuvres de H.P.Lovecraft. Le bar du coin et sa borne d'arcade dédiée au jeu «Qix», le rendez-vous sous le vieux chêne pour un petit pétard, la piscine municipale ou encore la boîte de nuit en bord de forêt...sont autant de lieux que la jeunesse arpente, entre jalousies de bandes, timides amourettes ou échappatoire aux parents...

Tout semble évoluer au rythme des péripéties de ce petit coin de province, jusqu'à l'arrivée pour la rentrée de la jeune Mélusine, tout droit venue de Beyrouth, avec sa beauté mystérieuse, mais aussi sa présentation devant la classe de ses explorations de la «première ville sur Terre, où l'on pouvait croiser les dieux». De quoi réveiller les garçons, impatients de lui faire découvrir les joies du jeu de rôle, et agacer les filles, qui voient en elle une rivale aux atouts trop nombreux. Mais quand Mélusine se retrouve dans le coma après un accident de voiture, la bourgade voit se multiplier les phénomènes étranges et les nuits emplies de cauchemars inexpliqués...Alors au moment ou survient le massacre d'une famille dans sa villa, peut-on vraiment se passer du surnaturel pour trouver une explication?      

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© A.CLERISSE/T.SMOLDEREN/DARGAUD

Ce qu'on a aimé : 

Le duo Smolderen, pour le scénario et les dialogues, et Clérisse, pour les dessins, nous avaient offert il y a trois ans le sublime album «L'été Diabolik», BD d'apprentissage sur fond de thriller psychédélique à l'orée des seventies, avec de nombreux prix à la clés. Le génial duo, à qui l’on doit également  «Souvenirs de l'empire de l'atome», qui sentait bon les années 1950, récidive avec «Une année sans Cthulhu», pour offrir cette fois sa vision des années 1980. Et le résultat est à la hauteur des attentes. A l'instar des multiples remakes des succès du divertissement de cette époque, ou des séries en forme de revival façon «Stranger Things», cette période est un formidable creuset à imagination. Les deux compères jouent par petites touches avec ces références, jusqu'à rendre certaines planches plus vraies que nature.

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© A.CLERISSE/T.SMOLDEREN/DARGAUD

Quiconque a passé sa jeunesse durant cette période se fera un plaisir de retrouver les mobylettes conduites sans casque et walkman aux oreilles, les néons accrochés au mur du bar, les vestes trop larges portées en boite de nuit,...Avec en point d'orgue les jeux de rôle et les jeux vidéos, auxquels Thierry Smolderen offre un véritable rôle à jouer dans le récit, et Alexandre Clérisse un rendu qui sent le vécu. Côté graphique, la filiation avec les précédents albums saute aux yeux : le dessin de Clérisse est toujours aussi net, usant d’une incroyable palette de coloris, avec un goût certain pour les contrastes. Le quadrillage et les traits anguleux s’épanouissent aussi bien dans les intérieurs sombres que sur des planches sans cases. La confusion et les fausses pistes entretenues volontairement par le scénario laisseront sans doute le lecteur dans l'incertitude une fois l'album terminé. C'est peut-être le seul bémol qu'on pourra reprocher à cet imposant ouvrage. Mais c'est au final une très bonne raison de rouvrir depuis le début la BD, qui supporte largement de multiples lectures sans jamais susciter l'ennui. 

Une année sans Cthulhu, de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse, Dargaud, 176 p., 33,50€.

«Fichtre» d'Alberto Montt, éd. ça et là

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© Alberto Montt / éd. Ça et là

Lucifer qui se vante d'avoir plus d'amis Facebook que Dieu, un citron et un presse agrume qui tombent amoureux, une censure sur les murs d'une caverne façon hommes de Cro-Magnon... Tout est matière à rigolade avec Alberto Montt qui publie un recueil de blagues absurdes en images, fruit du meilleur de ses dessins publiés sur son blog «Dosis diarias». Installé au Chili, cet équatorien de 47 ans connaît, depuis une dizaine d'année, un grand succès grâce à ces dessins d'humour tenant en général en une ou deux cases, également publiés dans la presse et sur les réseaux sociaux (plus de 330 000 abonnés Twitter). Déjà auteur de «Roucou», une bande dessinée publiée aux éditions Ça et là en 2018, le dessinateur publie cette fois en France «Fichtre», 160 pages à feuilleter joyeusement dans le désordre.

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© Alberto Montt / éd. Ça et là

Ce qu'on a aimé :

Si le dessin se veut soigné et riche d'un petit côté rétro, l'humour y est d'autant plus acéré. Alberto Montt se moque de tout, avec une désinvolture déroutante et hilarante. La religion, l'armée, l'amitié, l'art et ses grands maîtres, les super-héros, la nature, la technologie, le couple... Tout y passe. En seulement  quelques mots et une expression de visage, Alberto Montt vise bien l'absurdité de notre espèce et fait mouche. On pense à l'humour de Claude Serre ou de Philippe Geluck dans toute l'irrévérence de ces deux auteurs, si ce n'est qu'Alberto Montt a un style bien à lui. Un petit format élégant, à l'image du trait de son auteur. De quoi en faire un joli cadeau sous le sapin.

«Fichtre», d'Alberto Montt, éd. Ça et là, 160 p., 14 €.

«Blueberry», tome 1 «Amertume Apache» de Christophe Blain et Joann Sfar

Grand Ouest, territoire Apache. Le lieutenant Blueberry est témoin d'un ignoble crime perpétré par trois «gamins» d'une communauté religieuse voisine sur deux femmes apaches. Il tente de les arrêter mais rien n'y fait. Elles étaient la femme et la fille d'un chef indien respecté, nommé Amertume. Le soldat, blessé, ramène alors les dépouilles des deux femmes aux Indiens et se lance sur la piste des coupables. Mais la petite troupe rassemblée par Blueberry est massacrée par les Indiens. Un embrasement de la région semble inévitable. Parallèlement, Ruth, la femme du commandant du fort, semble prête à tout quitter pour se jeter dans les bras de l'ombrageux lieutenant... 

Ce qu'on a aimé :

Cheveux en bataille, nez cassé à la Belmondo, veste fatiguée et Stetson vissé sur le crâne, le lieutenant Blueberry n'a pas pris une ride, tout en prenant le meilleur du trait de Christophe Blain («Quai d'Orsay») qui s'éloigne clairement de la patte réaliste de Jean Giraud. Au bout de deux ans de travail, l'auteur livre des paysages de rocheuses magnifiques comme des personnages très expressifs afin de servir ce scénario élaboré à quatre mains avec Joann Sfar («Le Chat du rabbin»), qui n'est que la première partie d'une nouvelle aventure addictive et résolument moderne.

Dès le début de cette nouvelle aventure, le lieutenant Blueberry paraît un peu plus sombre encore que par le passé, un peu plus lointain aussi de ses congénères humains. Pourtant, il ne perd en aucun cas ses valeurs humanistes et n'hésite pas à mettre tout en oeuvre pour éviter un embrasement des conflits entre le fort et les Apaches, et reste solidement fidèle à son vieil ami Jim McClure, toujours aussi alcoolique mais sympathique. Son rapport aux femmes, lui, semble teinté d'un voile de désillusion et il n'hésite pas à faire souffrir la jolie Ruth (sa ressemblance troublante avec Claudia Cardinale est-elle un hommage ?) pour la protéger d'une folie amoureuse. 

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© Christophe Blain / Joann Sfar / Dargaud

Les femmes dans ce paysage de western sont, elles, loin d'être traitées comme des faire-valoirs agréables à regarder. Christophe Blain et Joann Sfar semble profiter de cette aventure en territoire Apache pour montrer à quel point elles peuvent se montrer courageuses (comme l'épouse Mcintosh, seule à garder son ranch pendant que son mari se saoûle à la ville), téméraires, comme la jeune et inconsciente Bimhal, qui, si elle n'est pas excusée de ses meurtres, peut avoir des circonstances atténuantes au vue de son passé douloureux, ou encore comme la passionnée Ruth qui meurt d'ennui dans son mariage lisse avec le commandant et rêve d'aventures et d'amour avec le ténébreux Blueberry.

 

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© Christophe Blain / Joann Sfar / Dargaud

Un premier tome plein de promesses d'un diptyque qui s'annonce passionnant. Le festival d'Angoulême ne s'y est d'ailleurs pas trompé en incluant cet album à la sélection officielle. 

«Blueberry», tome 1, «Amertume Apache», de Joann Sfar et Christophe Blain, 64p., Dargaud, 14,99€.

 

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