Depuis plus de 40 ans, les relations entre les États-Unis et la République islamique d'Iran sont explosives. En raison d'une rivalité historique, les deux puissances se livrent actuellement une guerre indirecte aux enjeux géostratégiques et idéologiques multiples.
Deux semaines après la mort de trois soldats américains en Jordanie, tués selon Washington par des combattants pro-Iran, les États-Unis ont entamé leur riposte en menant des frappes en Syrie et en Irak. Au moins 23 combattants pro-iraniens ont été tués, vendredi 2 février, par des frappes aériennes américaines dans l’est de la Syrie, rapporte l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Une seconde frappe, dans la région d’Al-Akachat, en Irak, a visé un centre de commandement des opérations du Hachd al-Chaabi, une coalition d’anciens paramilitaires rassemblant des factions pro-Iran. Le gouvernement irakien affirme que 16 personnes, dont des civils, ont été tuées.
Des affrontements révélateurs de la guerre indirecte que se livrent les États-Unis et l'Iran, récemment relancée par la situation pour le moins instable au Proche-Orient. En effet, après l’attaque terroriste du 7 octobre, la guerre entre Israël et le Hamas s'est propagée dans une grande partie de la région, offrant l'opportunité aux États-Unis, allié historique d'Israël, et à l’Iran, de poursuivre leur guerre idéologique et géostratégique. Un antagonisme entre les deux puissances qui trouve son origine dans la célèbre prise d’otages américains menée par l’Iran en 1979, et vécue comme une humiliation ultime par les États-Unis.
des relations «saines» jusqu'à la révolution
Au milieu du XXe siècle, en pleine guerre froide, les États-Unis cherchaient à obtenir des alliés en Europe, mais aussi au Proche-Orient afin de limiter l’expansion du communisme russe. Flairant le bon coup, et ayant peu apprécié la décision iranienne de nationaliser le pétrole du pays, les États-Unis ont organisé, en 1953, par l’intermédiaire de la CIA, un coup d’État contre le chef du gouvernement iranien de l’époque, Mohamed Mossadegh. À l’issue de ce coup d’État, un homme est devenu le nouveau leader du pays : Mohammad-Reza Pahlavi, surnommé le Shah d’Iran, et réputé proche des États-Unis. Dès lors, les relations entre les deux pays se sont stabilisées, et une coopération diplomatique, économique et politique a été instaurée.
Deux décennies plus tard, en 1978, une révolution éclatait en Iran. Le Shah était défié par différents groupes révolutionnaires, et deux tendances se dégageaient dans le pays : l’une religieuse, conservatrice et anti-Occident, et l’autre libérale, démocratique et pro-Occident. Si ces deux groupes avaient des projets bien différents pour l'Iran, ils avaient une revendication commune : le départ du Shah. L'ex-leader du pays a donc finalement été contraint, sous la pression populaire, de quitter Téhéran le 16 janvier 1979, laissant son pays en proie au chaos semé par les deux tendances rivales qui s'affrontaient pour prendre le pouvoir.
Alors que le fragile équilibre du pays menaçait de s'écrouler, c’est finalement la tendance religieuse et conservatrice qui s’installait en Iran sous l'emprise d'un homme : l’Ayatollah Khomeini, un chef religieux très puissant et mobilisateur. Dans les années 1960, il s'était déjà imposé comme un opposant au Shah, qui l'avait alors contraint à l'exil. En plein milieu de la révolution, l’Ayatollah Khomeini a donc saisi l'opportunité pour revenir en Iran, et pour s'imposer en nommant un gouvernement provisoire qui devait remplacer les institutions existantes.
Afin de rassembler le peuple iranien, Khomeini décidait stratégiquement de placer à la tête de ce nouveau gouvernement l'une des figures de l'autre tendance révolutionnaire, Mehdi Bazargan, qui est alors devenu Premier ministre du pays. Ce dernier tenait un discours modéré et souhaitait maintenir un haut niveau de collaboration dans les domaines militaires et économiques avec les États-Unis, notamment car il croyait avoir besoin des Américains pour se protéger des Soviétiques. À la fin de l'année 1979, les relations avec les États-Unis demeuraient donc plutôt stables et sur la voie d'un développement commun et réciproque, tandis que la révolution prenait fin dans le pays.
Prise d'otage de 52 Américains à Téhéran
Mais tout a basculé le 4 novembre 1979, lorsque des étudiants et des gardiens de la révolution iraniens ont pris en otage 52 Américains, dans l'ambassade américaine de Téhéran, avec le soutien de l’Ayatollah Khomeini. «Après la révolution, les États-Unis ont commencé à nouer de bonnes relations avec le premier gouvernement modéré iranien, mais la prise d’otages de 1979 montre que l’Ayatollah Khomeini a fait prendre une nouvelle direction à son pays, où l’anti-américanisme est au coeur du projet idéologique. C'est donc cette prise d’otage qui représente réellement le début de l'antagonisme entre les deux pays», détaille Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran, pour CNEWS.
Dès lors, les relations ont été rompues entre Téhéran et Washington, et le gouvernement provisoire dirigé par Mehdi Bazargan, fragilisé par la révélation de ses liens étroits avec les États-Unis, a été contraint de démissionner. Moins d'un mois plus tard, l’Ayatollah Khomeini a été confirmé comme seul leader du pays. Ce dernier a rapidement rompu avec le courant modéré et fondé les prémices de la nouvelle constitution de la République islamique d’Iran, désignant notamment les États-Unis comme ennemi de la nation et s’autoproclamant guide suprême à vie.
«Des ennemis idéologiques»
En 1981, l’Iran et les États-Unis sont finalement parvenus à un accord pour libérer les otages en contrepartie de la restitution des biens du Shah et du dégel des avoirs iraniens, bloqués depuis le début de la crise. Cette situation a été vécue comme un traumatisme et une humiliation aux yeux du peuple américain, et demeure à l’origine de la rivalité entre les deux pays depuis plus de 40 ans. «Aujourd'hui, les États-Unis sont considérés comme un ennemi idéologique de l'Iran. Si les courants plus modérés ne sont pas contre, sous certaines conditions, avoir des relations normales avec les États-Unis, du côté des plus radicaux qui sont au pouvoir depuis 2020-2021, ce sont, avec Israël, les deux grands ennemis», confirme Thierry Coville.
Une rivalité qui perdure encore aujourd’hui et qui s’exprime de plusieurs façons, notamment à travers une guerre économique, mais aussi avec un soutien militaire et financier dans plusieurs conflits de la région.