Les autorités tunisiennes ont fermé mardi 18 avril les bureaux du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, au lendemain de l'arrestation de son chef, Rached Ghannouchi, opposant au président Kaïs Saïed.
Un nouveau tour de vis pour l'opposition tunisienne. Après l'arrestation lundi du chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, les autorités tunisiennes ont fermé tous les bureaux de la formation politique dans le pays. Le Front de salut national (FSN), principale coalition d'opposition dont fait partie Ennahdha, est aussi visé.
Selon une circulaire du ministère de l'Intérieur reproduite par les médias, les réunions dans les bureaux d'Ennhadha sur tout le territoire et celles du FSN dans la région du Grand Tunis ont été interdites à partir de mardi en vertu de l'Etat d'urgence en vigueur dans le pays.
L'Union européenne, qui accorde à la Tunisie le statut de «partenaire privilégié» depuis 2012, a fait savoir son «inquiétude» et appelé à faire respecter «le principe fondamental du pluralisme politique».
arrêté pour des déclarations controversées
Interpellé à son domicile de Tunis lundi, Rached Ghannouchi, 81 ans, dirigeait le Parlement dissous en juillet 2021 par le président Kaïs Saïed. Son arrestation était survenue après des déclarations rapportées par des médias, dans lesquelles il affirmait ce week-end que la Tunisie serait menacée d'une «guerre civile» si l'islam politique, dont est issu son parti, y était éliminé.
L'opposant, bête noire du président Saïed, avait comparu en février au pôle judiciaire antiterroriste à la suite d'une plainte l'accusant d'avoir traité les policiers de «tyrans». Il avait également été entendu en novembre 2022 par un juge du pôle judiciaire antiterroriste pour une affaire en lien avec l'envoi présumé de jihadistes en Syrie et en Irak. En juillet de la même année, il avait aussi été interrogé pour des soupçons de corruption et blanchiment d'argent liés à des transferts de fonds depuis l'étranger vers une organisation caritative affiliée à Ennahdha.
Depuis début février, les autorités ont incarcéré plus de vingt opposants et des personnalités parmi lesquelles des ex-ministres, des hommes d'affaires et le patron de la radio la plus écoutée du pays, Mosaïque FM.
Saïed dénonce un «complot contre la sûreté de l'Etat».
Ces arrestations, dénoncées par des ONG locales et internationales, ont visé des figures politiques de premier plan du Front de salut national (FSN), principale coalition d'opposition dont fait partie Ennahdha.
Le président Saïed, qui s'est arrogé les pleins pouvoirs depuis son coup de force de juillet 2021, a qualifié les personnes arrêtées de «terroristes», affirmant qu'elles étaient impliquées dans un «complot contre la sûreté de l'Etat».
Après son coup de force, le président a fait réviser la Constitution pour instaurer un système ultra-présidentialiste aux dépens du Parlement, qui ne dispose plus de réels pouvoirs, contrairement à l'Assemblée dissoute et dominée par Ennahdha.
la chute d'un leader d'opposition
Le retour au pays, après vingt ans d'exil passés à Londres, de Rached Ghannouchi, opposant de premier plan sous les régimes de Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali, à la suite de la chute du dictateur en 2011, avait été célébré par des milliers de personnes.
Mais depuis la révolution, ses détracteurs l'accusent d'être prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. A défaut de pouvoir réunir une majorité absolue, il s'est toujours arrangé pour qu'Ennahdha soit incontournable dans les différentes coalitions depuis la révolution. Quitte à passer des alliances contre nature avec le parti libéral Qalb Tounes de l'homme d'affaires Nabil Karoui, ou avec l'ancien président Beji Caid Essebsi.
Au début de son parcours, il s'était d'abord inspiré des Frères musulmans égyptiens, avant de se réclamer du modèle islamiste turc de Recep Tayyip Erdogan. Il a ensuite fait muer Ennahdha en mouvement civil, censé depuis 2016 n'être consacré qu'à la politique, et s'affiche depuis comme un «démocrate musulman» défendant des valeurs conservatrices sans dogmatisme.