Le survol des Etats-Unis par un ballon «espion» chinois relance l'intérêt des Etats pour la «très haute altitude», une zone sans régulation internationale qui pourrait devenir un nouvel espace de confrontation.
C'est un nouvel espace qui attise les appétits des puissances du monde. Selon des responsables du Pentagone, équivalent de notre ministère de la Défense, un mystérieux ballon «espion» chinois était entré dans l'espace aérien américain une première fois le 28 janvier au-dessus de l'Alaska, avant d'entrer au Canada le 30 janvier, puis de revenir dans l'espace aérien américain au niveau de l'Idaho, dans le nord-ouest des Etats-Unis, le 31 janvier. Avant d'être abattu, l'engin voguait proche de la «très haute altitude». Le point sur une zone très convoitée.
Qu'est-ce que la «très haute altitude» ?
La très haute altitude est située entre 20 et 100 kilomètres au-dessus du sol. C'est dans cette zone de l'atmosphère que volent les ballons de surveillance tel que celui observé puis abattu aux Etats-Unis samedi 4 février. Par comparaison, les vols commerciaux circulent eux entre 6 et 13 km de haut.
«Il est probable que le ballon ait évolué en-dessous des 20 km, ce qui aurait constitué un danger et justifié que les Etats-Unis l'abattent», analyse pour CNEWS Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) et spécialiste des questions de défense.
quels traités régulent cette zone ?
Si la «très haute altitude» fait tant parler, c'est parce qu'elle est entourée d'un flou juridique qui inquiète les Etats autant qu'il alimente les convoitises.
En effet, la réglementation du trafic aérien s'arrête à 20 km d'altitude. «La seule convention internationale sur l'aviation civile, signée à Chicago en 1944 n'imaginait pas que des appareils puissent évoluer à une telle hauteur», souligne Emmanuel Dupuy.
Quant au traité de l'espace de 1967, qui garantit le libre accès des États à «l'espace extra-atmosphérique» et interdit l'installation d'armes de destruction massive, il ne s'applique qu'à partir de 100 km, la frontière communément admise entre atmosphère et espace. Entre 20 et 100 km se trouve donc une zone grise, que certains Etats pourraient mettre à profit.
des incidents similaires à celui du ballon chinois ont-ils déjà eu lieu ?
La Chine a envoyé de nombreux ballons au-dessus des États-Unis ces dernières années, a fait savoir le Pentagone. Cependant, c'est la première fois qu'un ballon chinois séjourne dans l'espace aérien américain pendant une période aussi longue.
«Au moins trois ballons chinois ont survolé les Etats-Unis durant le mandat de Donald Trump mais l'événement n'a pas été autant médiatisé et les ballons n'ont pas été abattus», rappelle Emmanuel Dupuy, qui estime que la communication de Washington s'inscrit aujourd'hui dans une volonté de replacer la menace chinoise au centre de l'attention internationale.
Les Américains ont eux aussi été épinglés pour avoir espionné un autre pays avec un engin volant. Il faut pour cela remonter à 1960, quand un avion de reconnaissance U-2 a été abattu par les soviétiques au-dessus de l'Oural.
Plus récemment, en 2019, un drone américain Global Hawk a été abattu par l'Iran au prétexte que l'engin avait pénétré l'espace aérien iranien, ce que les Etats-Unis ont démenti.
pourquoi la «très haute altitude» attire les convoitises ?
Chine, Etats-Unis, Russie... Les plus grandes puissances spatiales investissent dans la très haute altitude, une zone intéressante à plus d'un titre. Que ce soit pour de l'observation scientifique ou du renseignement, «faire voler un ballon à très haute altitude permet d'avoir des résultats similaires à ceux d'un satellite à moindre coût», indique Emmanuel Dupuy.
Dans le domaine militaire aussi, le potentiel est immense. Plusieurs pays développent des missiles hypersoniques («Avangard» en Russie, DF-17 en Chine,V-MAX en France...) qui rebondissent dans les hautes couches de l’atmosphère pour mieux tromper l'ennemi.
que dit la France ?
Si la doctrine française sur le sujet est encore balbutiante, l'armée de l'air, renommée «armée de l'air et de l'espace» en 2019, commence à s'intéresser à la «très haute altitude», qui a d'ailleurs fait l'objet d'un colloque organisé début janvier à l'Ecole militaire.
«La loi de programmation militaire à venir incite également à se mobiliser sur cette question», ajoute Emmanuel Dupuy. Selon le chercheur, il est temps de «réfléchir à une capacité d'interception et de protection». La question de la régulation, envisageable uniquement à l'échelle internationale, n'est elle pas encore sur la table.