Un anniversaire amer ? Il y a dix ans jour pour jour ce 11 février, Hosni Moubarak quittait le pouvoir en Egypte après une révolution qui avait créé beaucoup d'attente. Le printemps arabe marquait une volonté d'ouverture démocratique et de libertés de la part des populations. Dix ans après, le bilan est globalement négatif d'après Myriam Benraad, professeure associée en relations internationales à l'ILERI et spécialiste du Moyen-Orient.
Hosni Moubarak est parti il y a 10 ans. On parle souvent d'échec lorsque l'on fait référence au printemps arabe, vous partagez cette opinion ?
La déception concernant ces révolutions du printemps arabe, et particulièrement celle en Egypte, est à la hauteur des espérances qui avaient été placées en elles. On avait peut-être trop voulu projeter dans l’avenir un résultat idéal, parfait et sans failles. On pensait que le monde arabe s'extirperait de l’autoritarisme pour aller sereinement vers la démocratie. Mais il y a eu une série d’événements qui, depuis 2011, ont entraîné l’Egypte sur le chemin de la contre-révolution, une régression à beaucoup de niveaux. Si on se place du point de vue de ceux qui espéraient qu’une démocratie en ressorte, garante des droits fondamentaux, autour de l'organisation d’élections régulières et transparentes, du multipartisme, d'un plus grand dialogue entre le pouvoir et la société civile, de la création d’emplois pour la jeunesse et de la correction des inégalités, c’est évidemment un échec.
Est-ce qu'il y a des restes positifs du printemps arabe malgré tout ?
Les effets positifs c’est déjà que l'on a vu une jeunesse prendre le pouvoir. Même si elle a été lourdement réprimée ensuite, elle a quand même bravé le silence pour aller concrètement exprimer ses désirs de changement dans la rue. On a vu ces jeunes s’exprimer comme on ne l'avait jamais vu auparavant. De ce point de vue, ces révolutions ont laissé des traces intergénérationnelles qui continuent d’influencer les populations du monde arabe. Les jeunes générations ne vont pas, et il faut s’y attendre, s’accommoder du pouvoir en place en Egypte. Une partie peut-être, mais c’est un peu une bombe à retardement. On est sur un retour autoritaire avec le régime d'al-Sissi, avec une répression très féroce, la remise en cause des droits fondamentaux, une concentration du pouvoir aux mains de Sissi, et plus largement aux mains de l’armée. On a l’impression d’une répétition de l’histoire. Et ça ne pourra qu’aboutir à une nouvelle explosion de violence et de colère.
Un soulèvement pourrait donc apparaître dans le futur ?
Tout tourne autour de la notion d’injustice, à tous les niveaux : social, économique, politique, religieux... Les inégalités de genre aussi, parce que les femmes étaient très mobilisées dans cette révolution. Ça a été la révolution des femmes égyptiennes d’une certaine manière. La pandémie crée un environnement qui vient encore davantage aggraver le ressentiment de beaucoup d’Egyptiens. Il suffira d’une étincelle pour qu’une contestation d’ampleur face son retour.
Dans les textes, l’Egypte est aujourd’hui une république démocratique. Est-ce que cela est traduit dans les faits ?
On est dans le maquillage absolu. Tous les critères qui font une démocratie sont absents en Egypte. Il y a des élections qui sont truquées par le régime. C’est du pur maquillage dans le discours, dans les mots, qui ne doit pas tromper sur la nature du régime en Egypte, autoritaire, et peut-être plus encore que celui d’Hosni Moubarak.
Comment expliquer que le pays reste un partenaire privilégié des Européens ces derniers temps ?
Ce partenariat est étroitement lié à la question du terrorisme. L’Egypte se présente en effet comme un rempart au Moyen-Orient contre le terrorisme. Al-Sissi a défini une politique antiterroriste qui lui a permis de légitimer la répression des efforts démocratiques et progressistes. Il a réussi à vendre cette politique aux occidentaux. Du côté des Européens, on procède a des calculs cyniques qui consistent à promouvoir l’industrie d’armement et les intérêts souverains de la France. Emmanuel Macron a appelé de manière très légère à plus de retenue, mais cela n’a aucun effet contraignant ni aucune conséquence pour le régime égyptien.