Il a mis sa menace à exécution. Après avoir vivement critiqué l'Organisation mondiale de la santé (OMS) la semaine dernière, Donald Trump a suspendu ce mardi 14 avril la contribution américaine à l'agence sanitaire, pointant sa mauvaise gestion de la crise du coronavirus. Un avis partagé par de nombreux experts depuis déjà plusieurs semaines.
Principal grief, l'attitude un peu trop conciliante qu'aurait eu l'OMS vis-à-vis de la Chine, où le virus est apparu en fin d'année dernière. «Tout semble très favorable à la Chine, ce n'est pas acceptable», a déclaré Donald Trump le 7 avril lors de son point presse quotidien à la Maison Blanche. Aux yeux de l'OMS, «la Chine a toujours raison», a de nouveau déploré le président américain ce mardi 14 avril, depuis les jardins de sa résidence officielle.
President @realDonaldTrump is halting funding of the World Health Organization while a review is conducted to assess WHO's role in mismanaging the Coronavirus outbreak. pic.twitter.com/jTrEf4WWj0
— The White House (@WhiteHouse) April 14, 2020
Il est vrai que l'OMS a, dans les premiers temps de l'épidémie, pris la version chinoise pour argent comptant. Mi-janvier, par exemple, l'organisation onusienne a répété sans sourciller l'affirmation du gouvernement chinois selon laquelle il n'y avait aucune preuve de transmission du virus d'humain à humain, alors que la Chine était consciente de ce risque dès la fin décembre.
L'agence sanitaire a par ailleurs attendu fin janvier pour décider de l'envoi d'une quinzaine d'experts internationaux en Chine afin d'enquêter sur l'épidémie. Mais ceux-ci n'ont atterri sur le sol chinois que mi-février, après deux semaines de discussions avec les autorités pour leur faire accepter la composition de l'équipe. «Si l'OMS avait fait son travail et envoyé des experts médicaux en Chine pour étudier objectivement la situation sur le terrain, l'épidémie aurait pu être contenue à sa source avec très peu de morts», a fustigé Donald Trump ce mardi.
Dans les premiers temps de l'épidémie, l'OMS n'a également cessé de louer la «transparence» de Pékin dans sa gestion de la crise du coronavirus, «bien qu’il soit largement reconnu que la réponse de la Chine ait été à l’opposé de la transparence, le gouvernement sous-estimant le nombre de cas et intimidant les lanceurs d’alerte», estime à l'AFP Joe Amon, professeur en Santé mondiale à l’Université Drexel, située à Philadelphie aux Etats-Unis.
Celui-ci fait notamment référence au médecin chinois Li Wenliang, mort du coronavirus début février. Début janvier, cet ophtalmologue de 34 ans avait été convoqué et réprimandé par la police chinoise, accusé de propager des rumeurs, après avoir alerté sur l'apparition du virus sur un marché de Wuhan fin décembre. Mais «s’aliéner la Chine dès le début en soulignant des failles aurait été une erreur», juge à l'AFP Ann Lindstrand, spécialiste de la vaccination à l'OMS.
Une oms sous influence chinoise
Il ne s'agit pas de la seule raison de ce ton arrangeant selon les observateurs. Cela s'expliquerait également par l'influence grandissante de Pékin dans les organisations internationales, en particulier l'OMS. L'an dernier, l'Empire du Milieu a par exemple obtenu que soit inclus un chapitre sur la médecine traditionnelle chinoise dans la dernière Classification internationale des maladies de l'OMS, à la suite d'une intense campagne de lobbying.
La Chine a également fait pression et obtenu en 2017 que Taïwan soit exclu de l'OMS. Cette île autonome, revendiquée par Pékin comme son territoire, est pourtant citée en exemple dans la lutte contre le coronavirus (393 cas et 6 morts). Et avait selon elle alerté l'OMS dès le 31 décembre 2019 sur le risque de transmission interhumaine du Covid-19. Un avertissement resté lettre morte, au grand dam de Taïwan.
Cette proximité avec la Chine vaut à l'Organisation mondiale de la santé d'être surnommée par certains «Organisation chinoise de la santé», a révélé le vice-Premier ministre japonais et ministre des Finances Taro Aso. Même si le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, élu en 2017 après une campagne d'influence de la Chine, «ne considère rien de ce qui vient des Etats membres comme une pression», a-t-il assuré.
Le manque d'empressement de l'OMS à décréter l' «urgence de santé publique de portée internationale», le 30 janvier, puis l'état de pandémie, le 11 mars, est également pointée du doigt par certains experts. «Cela a renforcé la réticence (des Etats) à prendre des mesures fortes avant que la catastrophe n'arrive», estime au New York Times François Godement, conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne.
Son incapacité à donner des consignes précises pour juguler l'épidémie (fermeture des lieux publics, mise en quarantaine, etc.) fait également l'objet de critiques. «L'OMS reste étonnamment silencieuse (...) sur toutes ces questions pragmatiques», observait fin mars Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève, dans la revue médicale The Lancet.
La Chine plus à blâmer que l'OMS ?
D'autres spécialistes, au contraire, prennent la défense de l'OMS, jugeant qu'elle fait ce qu'elle peut avec les moyens et les prérogatives dont elle dispose. «Le budget de l’OMS (2,5 milliards de dollars par an, 2,3 milliards d'euros) équivaut à celui d’un grand hôpital américain, ce qui est très peu comparé à ses responsabilités», affirme au Guardian Lawrence Gostin, professeur de droit en santé publique à l’Université de Georgetown, à Washington.
«L’OMS ne peut pas obliger les gouvernements à suivre ses recommandations, car les gouvernements ne lui ont pas donné ce type d’autorité», ajoute à l'AFP Suerie Moon, codirectrice du Centre de santé globale à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève. Par ailleurs, ce n'est pas l'OMS qui est à blâmer selon certains, mais la Chine, qui aurait dû l'alerter plus tôt, au moment de la découverte des premiers cas de Covid-19 en novembre, et non fin décembre. «Si nous avions su à ce moment-là que quelque chose se passait, cela aurait pu faire une énorme différence», pointe à l'AFP Roland Kao, épidémiologiste à l’Université d’Edimbourg. Sous-entendant par là qu'un examen des responsabilités de chacun devra être nécessaire une fois la crise sanitaire terminée.