Sourire aux lèvres, Alexis Dugarte pose devant un imposant rideau de lumière flottant au-dessus du Guaire, le fleuve à l'odeur pestilentielle qui traverse Caracas.
«C'est super de faire ce cadeau aux gens, ça remonte le moral», confie ce jeune de 26 ans entouré de dizaines de personnes qui multiplient les selfies devant cette installation de plus d'un kilomètre de long financée par le pouvoir.
Elle résume l'ambiance qui règne dans la capitale vénézuélienne en cette période de fêtes, malgré la crise.
Le contraste avec les années précédentes est saisissant: les habitants avaient pris l'habitude de voir une ville déserte, sans animations ni lumières.
Selon les économistes, cette embellie apparente - bien que limité à environ 15% de la population ayant accès aux dollars - est alimenté en partie par l'argent envoyé par les 4,5 millions de Vénézuéliens qui ont fui la faim et la violence dans le pays ces quatre dernières années, selon l'ONU.
Foires gastronomiques, concerts et marchés pleins d'ingrédients pour préparer les «hallacas», un plat typique des fêtes au Venezuela à base de pâte de maïs fourrée à la viande, aux olives, aux poivrons et aux raisins secs, le tout cuit à la vapeur dans une feuille de banane.
Ces lumières de Noël à Caracas contrastent aussi avec la situation des Vénézuéliens de l'intérieur confrontés à des coupures de courant depuis le mois de mars.
«Il n'y a pas d'électricité, mais eux ils illuminent les excréments», a ironisé le leader de l'opposition Juan Guaido, reconnu comme président par intérim par plus d'une cinquantaine de pays, en référence aux plan «Venezuela Bella» (Le Venezuela est beau), lancé par le président socialiste Nicolas Maduro.
Dans le quartier aisé de Chacao, à l'est de la capitale, les places et les avenues scintillent et sont constamment en mouvement, y compris le dimanche.
«Nous avons installé 2.600 luminaires LED pour que nos habitants retrouvent la nuit. Où il y a de la lumière, il y davantage de sécurité», se réjouit le maire d'opposition, Gustavo Duque.
Le boom des sapins
Dans un marché couvert d'un quartier de classe moyenne, le bruit des ciseaux se mêle à l'odeur de sapin frais. Tronc synthétique et véritables branches de sapin, des «arbres» de Noël sont assemblés. Mesurant jusqu'à deux mètres, le plus cher est vendu 60 dollars.
Absents les années précédents, ces «arbres» connaissent un boom, explique Brenda Velasquez, qui possède un stand. Après un 2018 noir, «la pire de ces cinq dernières années», elle a multiplié par deux les ventes.
«Très peu de gens te payent en bolivars», explique Brenda Velasquez, confirmant une dollarisation de facto qui concerne désormais plus de 50% des transactions, selon le cabinet Ecoanalitica.
Les Vénézuéliens de l'étranger envoient de l'argent à travers des réseaux de maisons de change qui possèdent des comptes bancaires à l'extérieur et à l'intérieur du pays. Depuis la Colombie, le Pérou ou ailleurs, le migrant dépose de l'argent à cet intermédiaire qui fait ensuite parvenir la somme à des proches au Venezuela.
Après avoir parcouru plusieurs stands dans le centre, Odalis Reyes, habitante du quartier populaire de Petare, a finalement acheté des cadeaux pour ses deux filles de 6 et 3 ans.
«On est serrés niveau budget, mais on fait un effort», confie-t-elle à l'AFP, deux poupées sous le bras payées 40 dollars. «Tout se fait en dollars», souligne cette employée de 28 ans qui travaille dans un magasin de pièces détachées.
Malgré cette reprise apparente de l'activité en décembre, la consommation va se contracter de 30 à 40 points de pourcentage en 2019, «les pires chiffres de l'histoire», déclare à l'AFP Felipe Capozzolo, président du Conseil national du commerce et des services (Consecomercio).
Dans le quartier populaire d'Artigas, dans l'ouest de Caracas, la décoration est bien plus modeste: elle est faite notamment de vieux CD qui pendent dans les ruelles et les façades, de pères Noël usés et vieux rubans aux fenêtres.
«L'an dernier, tout le monde était éteint, chacun était chez soi, apathique», se souvient Vanessa Subero, 39 ans, qui travaille dans un salon de manucure.
«Cette année, les gens se sont mis à décorer, ils ne veulent rien savoir de politique», fait-elle valoir.