Les assiettes risquent de voler. Ce mardi 3 septembre s'ouvre à Londres le sommet de l'OTAN, marquant le 70e anniversaire de l'organisation politico-militaire, dans un contexte plus que tendu. A côté d'un Donald Trump qui ne cesse de critiquer l'alliance, Emmanuel Macron s'est lui aussi rangé du côté de ses contempteurs, provoquant l'ire de ses partenaires, en premier lieu la Turquie.
«Ce qu'on est en train de vivre, c'est la mort cérébrale de l'OTAN», a déclaré le chef de l'Etat français dans une interview à l'hebdomadaire The Economist parue le 8 novembre. «Vous n'avez aucune coordination de la décision stratégique des Etats-Unis avec les partenaires de l'OTAN et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l'OTAN, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination», a-t-il notamment souligné, en référence à l'offensive turque en Syrie contre une milice kurde, lancée début octobre. «Ce qui s’est passé est un énorme problème pour l'OTAN», a ajouté Emmanuel Macron, appelant à «clarifier maintenant quelles sont les finalités stratégiques de l'OTAN».
Une attaque en règle contre l'alliance, émise par le président d'un pays fondateur et troisième contributeur à son budget, qui n'a pas du tout été du goût des autres membres de l'organisation. En premier lieu desquels l'Allemagne, dont la chancelière Angela Merkel a dit ne pas partager la vision «radicale» d'Emmanuel Macron. La semaine dernière, elle a de nouveau pris ses distances avec le chef d'Etat français devant les députés allemands, défendant l'utilité de l'OTAN, «un rempart contre la guerre», qui a garanti «la liberté et la paix» depuis 70 ans, en partie grâce à «nos amis américains».
Tensions entre la France et la Turquie
Mais parmi les membres de l'OTAN, c'est sans aucun doute la Turquie - nommément visée par les propos d'Emmanuel Macron - qui a été la plus virulente. Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'en est en effet pris dans des termes peu diplomatiques à son homologue français, jugeant que c'était lui qui était en «état de mort cérébrale». «Qu'as-tu à faire en Syrie, toi ? Moi, j'ai le droit d'y entrer pour lutter contre le terrorisme. Mais toi, qu'as-tu à y faire ?», a-t-il vociféré vendredi lors d'un discours à Istanbul, alors qu'Emmanuel Macron avait la veille de nouveau critiqué l'opération militaire turque en Syrie, l'accusant de mettre «en péril l'action de la coalition contre Daesh dont l'OTAN [...] est membre».
Paris a aussitôt riposté en convoquant l'ambassadeur de Turquie vendredi soir au ministère des Affaires étrangères. «Soyons clairs, ce n'est pas une déclaration, ce sont des insultes», a réagi l'Elysée au sujet de ce qu'elle a qualifié de «dernier excès» en date de Recep Tayyip Erdogan. L'ambiance risque donc d'être orageuse mardi à Londres, où doivent se retrouver pour une réunion sur la Syrie, en marge du sommet de l'OTAN, le président turc et son homologue français, ainsi qu'Angela Merkel et le Premier ministre britannique Boris Johnson.
Trump et le fardeau financier de l'otan
Mais pas Donald Trump, dont le pays est pourtant mis en cause dans cette crise, accusé d'avoir laissé la Turquie lancer son offensive en retirant ses soldats postés à la frontière turco-syrienne. Le chef d'Etat américain répondra en revanche présent au sommet anniversaire de l'OTAN, qu'il ne devrait pas participer à apaiser. Depuis son élection (et même depuis sa campagne présidentielle), le milliardaire américain tire à boulets rouges sur l'organisation, qualifiée notamment d' «obsolète», et à propos de laquelle il aurait indiqué à plusieurs reprises en 2018 que les Etats-Unis devraient s'en retirer selon le New York Times.
Celui-ci ne supporte pas en particulier que les Etats-Unis soient de loin le plus gros contributeur au budget de l'OTAN : 22,1 %, contre 14,7 % pour l'Allemagne et 10,5 % pour la France. L'aspect financier est au cœur des critiques de Donald Trump, qui appelle également ses alliés à respecter l'engagement pris en 2014 de consacrer 2 % de leurs PIB à leurs dépenses militaires en 2024.
Sur le premier sujet de contentieux, un accord a été trouvé jeudi, permettant aux Etats-Unis de réduire leur contribution au budget de fonctionnement de l'alliance à 16,35 %. L'Allemagne portera la sienne au même niveau, et les autres alliés acceptent de payer davantage. Mais pas la France, qui a refusé cette nouvelle répartition. En revanche, le second problème devrait susciter des tensions, les Américains estimant insuffisants les efforts réalisés par les autres alliés. Seulement neuf pays ont en effet atteint l'objectif de 2 % en 2019. La France assure qu'elle y parviendra en 2025, alors que l'Allemagne a d'ores et déjà averti qu'elle ne pourrait pas y arriver «avant le début de la décennie 2030».
Des avancées à vendre aux Américains
Pour désamorcer le conflit à venir, qui pourrait entacher le sommet de cette semaine, le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg va insister auprès de Donald Trump sur le fait que les Européens et le Canada auront dépensé à fin 2020 en matière de défense 130 milliards de dollars (118 milliards d'euros) de plus par rapport à 2016, date de l'arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump. Il va également mettre l'accent sur le fait que leurs dépenses militaires ont augmenté de 4,6 % en 2019.
Le contrat d'1 milliard de dollars (900 millions d'euros) emporté par la firme américaine Boeing le 20 novembre pour moderniser la flotte d'avions de l'OTAN est également censé satisfaire le président américain, et ainsi éviter qu'il ne ruine le sommet avec ses déclarations belliqueuses. L'organisation ne veut pas que se répète le scénario de la réunion de l'an dernier, durant laquelle Donald Trump avait fustigé ses alliés européens, en particulier l'Allemagne, accusée de ne pas payer assez pour la défense collective et de contribuer à l'effort de réarmement de la Russie avec ses achats de gaz.