A une semaine du premier tour de sa présidentielle, la Tunisie vit depuis samedi soir au rythme des trois grandes soirées de débats télévisés devant permettre à ses citoyens de choisir entre 26 candidats, une initiative démocratique rarissime dans le monde arabe.
Huit premiers candidats, parmi lesquels l'islamiste Abdelfattah Mourou, le premier président de la Tunisie post-révolutionnaire Moncef Marzouki, l'avocate anti-islamiste Abir Moussi, ou le militant des droits de l'homme Mohamedd Abbou, ont fait leur baptême du feu samedi soir.
Plus qu'un débat véritable, ils ont exposé leur credo en répondant dans un laps de temps rigoureusement chronométré à des questions tirées au sort portant sur un large éventail : diplomatie, sécurité, libertés individuelles, économie...
Grand absent de la soirée, l'homme d'affaires controversé Nabil Karoui, en prison depuis le 23 août pour blanchiment d'argent, s'est invité dans le débat en se disant sur twitter «privé de son droit constitutionnel» à s'exprimer et en dénonçant l'«absence d'égalité des chances».
Présentée par ses promoteurs comme «l'événement» de la campagne électorale et un «tournant» dans la vie politique de ce pays symbole du Printemps arabe, l'opération mobilise depuis des semaines les médias audiovisuels publics et privés, ainsi qu'une ONG spécialisée dans le débat politique.
Dimanche et lundi soir, le même format réunira 9 puis 8 candidats restants.
Solennellement intitulée «La route vers Carthage (ville qui abrite le palais présidentiel, NDLR). La Tunisie fait son choix», l'émission est diffusée sur 11 chaînes de télévision dont deux publiques, et une vingtaine de radios.
«Fiers»
Réunis dans les cafés comme pour la retransmission d'un match de football, les yeux rivés sur les écrans de télévision, de nombreux Tunisiens ont suivi avec intérêt le débat samedi soir.
Beaucoup ont vu dans cet événement une source de fierté pour leur pays, érigé en référence par les promoteurs de la démocratie dans la région. Mais ils ont aussi exprimé des sentiments mitigés sur les prestations des candidats.
«Pour moi, les choses ne sont pas encore claires», a affirmé à l'AFP, Imane, une femme de 30 ans au chômage, l'air insatisfait.
«J'ai suivi la plupart des candidats sur les réseaux sociaux mais, durant le débat, ils ne donnent que des réponses très larges et générales, très loin des attentes», a-t-elle regretté.
Oussama a déploré un débat certes «froid et sans frictions». «Mais nous en sommes fiers, car tous les Arabes nous regardent ce soir», s'est félicité le jeune homme de 33 ans, qui a dit avoir réussi à faire son tri parmi les candidats.
Le plateau, installé dans les locaux de la chaîne publique Wataniya, était organisé en forme de demi-cercle autour duquel les places des candidats avaient été tirées au sort et au milieu duquel officiaient deux journalistes modérateurs.
Les questions avaient été préparées par des journalistes et tirées au sort vendredi, ainsi que les candidats à qui elles devaient être posées.
Chaque postulant a eu 90 secondes pour répondre et pouvait être relancé ou interrompu. A la fin de l'émission, chacun a disposé de 99 secondes pour exposer les grandes lignes et les promesses de sa candidature.
Au total, tous les candidats disposeront d'un quart d'heure de temps de parole au cours des trois émissions.
«On ne sait pas»
Au-delà des aspects organisationnels et techniques, les organisateurs ont insisté sur le caractère rarissime de l'opération.
«Souvent, dans le monde arabe, quand on parle compétition, on sait qui gagne à la fin d’avance, avec 99,99%. Aujourd'hui, on ne sait pas», a commenté M. Khedder.
De fait, la présidentielle tunisienne, avec son nombre pléthorique de candidats, des programmes et des enjeux parfois difficiles à cerner, est marquée par l'imprévisibilité.
Et de nombreux Tunisiens ont affirmé compter sur ce grand débat pour se déterminer.
Selon le politologue Zied Krichen, «ca va probablement se jouer durant les trois débats télévisés, sur peu de choses, et quelques milliers de voix pourraient changer radicalement le visage du pays».
Ces débats doivent être diffusés sur des chaînes en Algérie ou encore en Libye, et le responsable de l'ONG partenaire du débat, Belabbes Benkredda évoque «un premier pas» pouvant servir «d'inspiration» dans d'autres pays de la région.