Sept mois se sont écoulés depuis le début de l'année 2019 et déjà 75 femmes ont été tuées en France par leur conjoint ou leur ex-compagnon. Alors que l'Hexagone prend tardivement conscience du phénomène, l’Espagne est érigée en exemple.
Depuis le début des années 2000, le pays fait en effet figure de pionnier en matière de lutte contre les féminicides, soit le meurtre ou l'assassinat de femmes en raison de leur genre, ou crimes machistes comme ils sont appelés à Madrid.
Alors que 71 femmes étaient tuées par leur mari ou leur ex-conjoint en Espagne en 2003, leur nombre a presque été divisé par deux pour atteindre les 47 décès recensés l'année dernière.
Un drame glaçant comme déclencheur
Or, la prise de conscience en Espagne ne s'est pas faite toute seule. Il aura fallu un féminicide particulièrement atroce pour bousculer la société et ses responsables politiques.
En 1997, Ana Morentes, 60 ans est brulée vive par celui qu'elle avait épousé quarante plus tôt et qui la violentait depuis. Un fait divers glaçant qui aurait pu être évité : dix jours plus tôt, la femme était invitée à la télévision espagnole, racontant les violences subies pendant des décennies et les multiples plaintes déposées. Malgré son divorce, Anna Morentes, avait été contrainte par ordonnance du juge à résider dans la même maison que son ex-conjoint.
Sous la pression des associations féministes, c'est d'abord le code pénal qui est réformé, en 1999. Face au manque de réponses judiciaires, des mesures d'éloignements sont mises en place et la violence psychologique est finalement reconnue.
Les médias ont également été impliqués : chaque décès dû à des violences domestiques est ainsi systématiquement rapporté dans la presse écrite, à la radio et à la télévision, comme le décompte annuel de ces «crimes machistes». En 2003, un observatoire des violences conjugales a même été créé pour assurer une veille et recenser les victimes.
Une vaste réforme
C'est à partir de 2004 et l'adoption d'une vaste loi visant à réduire le nombre de cas de violence domestique que beaucoup de choses vont changer. La loi votée par le Premier ministre Luis Zapaterro a élevé la lutte contre les violences de genre au rang de cause nationale.
Mesure phare de cette arsenal législatif avant-gardiste, 106 tribunaux spécialisés dans ce domaine ont depuis été créés. Plus que des nouvelles institutions, le gouvernement a mis en place des règles dissuasives pour réduire les délais de prises en charge : les juges ont ainsi l'obligation d'instruire une plainte pour violence dans les 72 heures après son dépôt, quinze jours pour démarrer le procès.
Comme c'est trop souvent le cas, il arrive que la victime ne souhaite pas porter plainte. Là aussi le gouvernement a trouvé la parade : avec suffisamment de témoignages, l'Etat a la possibilité de le faire à sa place.
Les conjoints violents sont également placés sous surveillance à l’aide de bracelets électroniques : près de 1 150 hommes violents sont équipés d’un bracelet de ce type en Espagne. La victime dispose ainsi d’une balise, toujours sur elle, qui dès que le périmètre de sécurité est franchi, envoie un signal à la police.
En France, la ministre de la justice Nicole Belloubet, a expliqué le semaine dernière vouloir «généraliser» l’utilisation d’un bracelet électronique permettant de maintenir à distance les ex-conjoints violents.
Une question de budget
Pour assurer le fonctionnement de ces dispositifs de protection, il faut des fonds. L'année dernière, les autorités espagnoles ont fini par débloquer 200 millions d'euros pour subvenir, entre autres, aux pensions pour les orphelins de la violence domestique. Et ce, grâce à la mobilisation des associations, particulièrement actives dans le pays.
Autres aides prévues par le gouvernement, près de 3200 victimes de violences conjugales ont pu bénéficier l'année dernière d'aide au déménagement d'urgence.