Des figures de l'opposition soudanaise ont été arrêtées samedi après leur rencontre avec le Premier ministre éthiopien venu en médiateur entre contestation et militaires à Khartoum, toujours déserte cinq jours après la violente dispersion par les forces de sécurité du sit-in des manifestants.
Les rideaux de fer de la plupart des magasins étaient baissés dans la capitale soudanaise, en ce dernier jour de vacances de l'Aïd al-Fitr, qui marque la fin du mois de jeûne de ramadan. Peu de piétons étaient présents dans les rues, mais la circulation des voitures et de quelques transports en commun avait légèrement repris.
Des barricades de briques coupaient certaines routes des quartiers de Bahri et Burri, deux hauts lieux de la contestation à Khartoum. Elles ont été érigées par les manifestants pour, disent-ils, se protéger des forces de sécurité et en signe de «désobéissance civile» contre le pouvoir.
Dans d'autres rues, ces barrières de fortune étaient retirées à la main, brique par brique, par des soldats de l'armée régulière et des hommes des Forces de soutien rapide (RSF).
Ces derniers sont accusés par la contestation d'être les principaux auteurs de la répression du mouvement depuis le 3 juin.
Lundi, les forces de sécurité ont brutalement dispersé un sit-in de manifestants devant le siège de l'armée dans la capitale, puis ont semé la «terreur» dans les rues de Khartoum et d'autres villes, selon des témoignages d'habitants.
Selon des médecins proches de la contestation, plus de 100 personnes sont mortes et des centaines blessées, en majorité lors de la dispersion du sit-in. Le gouvernement a nié ces chiffres, évoquant un bilan de 61 tués.
«Vers un lieu inconnu»
Dans ce contexte de tension accrue, deux figures de la contestation, Mohamed Esmat et Ismaïl Jalab, ont été interpellés ces dernières heures par «des hommes armés», selon des proches.
M. Esmat, un leader au sein de l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, et M. Jalab, secrétaire général du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM-N), ont été arrêtés juste après leur rencontre avec le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed.
L'offre de médiation de ce dernier entre les meneurs de la contestation et le Conseil militaire a été saluée par les deux parties.
Vendredi, «lorsque nous sommes sortis de l'ambassade d'Ethiopie, une voiture avec des hommes armés s'est arrêtée, ils ont emmené Mohamed Esmat vers un lieu inconnu et sans donner d'explication», a déclaré à l'AFP Essam Abou Hassabou, membre de l'ALC.
Samedi, à 3H00 (1H00 GMT), des «hommes armés», venus à son lieu de résidence, ont également «embarqué Ismaïl Jalab vers une destination inconnue», a indiqué à l'AFP Rachid Anouar, responsable au sein du SPLM-N.
Moubarak Ardoul, porte-parole de ce mouvement, a également été «embarqué», a ajouté le responsable.
«Libération»
Mercredi, les forces de sécurité avaient «arrêté» Yasser Amran, chef-adjoint du SPLM-N, la branche Nord d'une ex-rébellion sudiste qui a régulièrement été en conflit avec le pouvoir central du président déchu Omar el-Béchir. Son arrestation a été vivement condamnée par les Etats-Unis et l'Union européenne.
Durant sa visite vendredi, M. Ahmed avait appelé à «faire preuve de courage et de responsabilité en prenant des actions rapides vers une période de transition démocratique et consensuelle dans le pays», après une rencontre avec le président du Conseil militaire au pouvoir, le général Abdel Fattah al-Burhane, et plusieurs chefs de la contestation.
Le Conseil militaire a pris la tête du pays depuis la destitution par l'armée de l'ex-président Béchir le 11 avril, à la faveur d'un soulèvement populaire inédit déclenché en décembre.
Les militaires au pouvoir avaient entrepris des négociations avec les chefs de la contestation autour de la transition post-Béchir, qui ont toutefois été suspendues le 20 mai, chaque camp voulant en prendre la tête.
Durant la visite du Premier ministre éthiopien, les généraux se sont dits «ouverts aux négociations» mais l'ALC a opposé des conditions, dont une enquête internationale sur le «massacre» du sit-in, qui avait commencé le 6 avril.
Les leaders du mouvement avaient également exigé la «libération des personnes arrêtées».