Un déni de l'Histoire. Trente ans après le massacre de Tiananmen, qui a vu des centaines de manifestants pacifistes mourir sous les balles et les chars de soldats chinois à Pékin, le sujet reste tabou dans le pays.
Il est en effet extrêmement rare que l'événement soit évoqué dans les médias ou par les personnalités politiques. D'autre part, tout ce qui relève du massacre est même complètement censuré d'internet. En 2018, une plateforme de microblogs avait carrément interdit les transferts d'argent de 89,64 ou 64,89 yuans, car ces chiffres font référence à la date du 4 juin 1989.
#Tiananmen 30 ans déjà et cette image qui a marqué mon adolescence et à jamais gravée dans ma mémoire...#Democracy pic.twitter.com/tZPN2pEwDA
— MiKohiyama (@MiKohiyama) 31 mai 2019
Mais en 2019, à l'occasion des 30 ans, la parole s'est semble-t-il quelque peu libéré. Ainsi, le ministre de la Défense a assuré le 2 juin, à quelques jours de l'anniversaire, que «cet incident était une turbulence politique et le gouvernement central a pris les mesures pour mettre un terme à ces turbulences, ce qui a été la décision correcte».
Dans la foulée, dans un quotidien officiel anglophone, Global Times, un éditorial a été écrit sur le sujet. Et selon ce dernier, «l'incident» est presque l'une des meilleures choses qui soient arrivées à la Chine : «En vaccinant la société chinoise, l'incident de Tiananmen augmentera grandement l'immunité de la Chine contre tout trouble politique à l'avenir. (...) Depuis l'incident, la Chine est parvenue à devenir la deuxième économie mondiale, avec une amélioration rapide du niveau de vie.»
Cependant, ces différentes prises de positions sur le massacre de Tiananmen ne sont pas liées à un relâchement de la part des autorités pour l'anniversaire. «Ces personnages qui ont décidé de parler vont incontestablement avoir des ennuis», assure Jean-Luc Domenach, politologue spécialiste de la Chine. Pour le chercheur, dans le pays, «même si c'est pour la dénigrer, il ne faut pas parler de la démocratie». Et cela va de même pour Tiananmen.
Plusieurs rescapés de la manifestation, exilés à l'étranger, ont d'ailleurs fait part de leur inquiétude concernant la privation de libertés en Chine. «Ce qui était inimaginable il y a un an devient aujourd'hui réalité. Même 1984 (de George Orwell, ndlr), le roman, ne pouvait aller aussi loin», regrette Zhou Fengsuo, un ex-leader étudiant qui a notamment été numéro cinq sur la liste des personnes les plus «recherchées» par Pékin.
«S'il y a eu de formidables progrès au niveau de l'égalité hommes-femmes par exemple, la liberté individuelle au niveau politique s'est resserrée. Les entreprises collaborent beaucoup plus qu'avant au contrôle de la main-d'oeuvre et des citoyens», explique Jean-Luc Domenach. Le politologue poursuit en affirmant qu'auparavant, «tant qu'il n'y avait pas d'histoire, on ne faisait pas attention», contrairement au système de surveillance systématisé et bureaucratique actuel.
Pas question donc d'organiser des cérémonies commémoratrices en Chine. Il faudra se rendre à Hong Kong, qui a toujours le droit à une certaine liberté d'expression et où, chaque année, des dizaines de milliers de personnes viennent se recueillir en hommage aux disparus.