Il se faufile entre les townships et les champs de maïs en sifflant, au soleil levant. Les chemins de fer du Zimbabwe viennent de relancer un train de banlieue, fiable et bon marché. Une révolution dans un pays étranglé par une crise sans fin.
Chaque matin à l'aube, des écoliers en uniforme et des employés encore ensommeillés marchent le long de la voie ferrée jusqu'à la «gare» de Cowdray Park, à 20 kilomètres de Bulawayo, la deuxième ville du pays.
Ici, il n'y a ni quai, ni gare à proprement parler. Un vieux wagon posé dans un champ fait simplement office de billetterie.
Après une interruption de service de treize ans, la ligne Cowdray Park - Bulawayo vient d'être remise en service en novembre, avec un aller-retour quotidien.
A l'image de l'économie du Zimbabwe, le réseau ferroviaire du pays a été laissé à l'abandon et démantelé pendant les dernières années du long règne de Robert Mugabe (1980-2017), qui a plongé le pays dans un marasme sans fin.
Son successeur Emmerson Mnangagwa s'est donné comme priorité de relancer l'économie. Une mission qui, à ses yeux, passe aussi par le train.
La livraison, l'an dernier, de nouveaux wagons et locomotives pour les Chemins de fer zimbabwéens (NRZ) «représente notre engagement pour le changement, le progrès et le développement», avait-il lancé à cette occasion. «Il est temps d'avancer à toute vapeur».
Les NRZ ont donc financé à hauteur de 2,5 millions de dollars la rénovation d'une première ligne de banlieue. L'une des rares «success stories» d'un Zimbabwe qui a replongé depuis des mois dans les pénuries en tout genre (carburant, huile, médicaments...).
Il est 6 heures du matin et le train s'ébranle. En route pour Bulawayo, il s'arrête dans des gares imaginaires au milieu de nulle part pour embarquer d'autres passagers, jusqu'à son terminus qu'il atteindra une heure plus tard.
«Pratique et à l'heure»
«Le prix d'une course en kombi (minibus) coûte maintenant 2 dollars, c'est beaucoup trop cher», explique un de ses passagers, Sipeka Mushoma.
«Le voyage en train coûte 50 cents (...) Ca me permet de mettre de l'argent de côté pour acheter des légumes et du pain», ajoute ce chauffeur de poids-lourd, en route pour son travail.
Ce matin-là, le sexagénaire est chanceux. Il parvient à trouver une place assise dans le train de 14 wagons bondés.
L'inflation annuelle de 42% et le récent doublement des prix de l'essence - qui a provoqué en janvier une fronde populaire violemment réprimée - se sont répercutés sur les prix des courses de kombi. Pas sur le train, qui fonctionne au diesel mais est subventionné par l'Etat.
«Nous sommes ici pour attirer les banlieusards (...) Il n'est pas question que nous augmentions nos prix», assure Nyasha Maravanyika, responsable presse des NRZ.
Jusqu'au début des années 2000, Bulawayo comptait deux lignes de trains de banlieue et la capitale Harare trois. Mais ce service surnommé «les trains de la liberté» a été brutalement interrompu. «Les wagons et la signalétique étaient en trop mauvais état», explique Nyasha Maravanyika.
A ce jour, seule une ligne a été remise en service mais «c'est un grand succès. Le train est pratique et à l'heure», se félicite-t-il.
«Cœur» du réseau régional
Il faudrait encore 10 millions de dollars pour remettre sur les rails les quatre autres lignes de train de banlieue du pays. Mais l'argent manque, les caisses de l'Etat sont désespérément vides.
Aujourd'hui, les NRZ comptent moins de 100 locomotives et quelques centaines de wagons, assurant des liaisons erratiques entre les principales villes du pays et un service de fret très limité pour transporter sucre, chrome ou pierres de taille.
Du temps de sa splendeur - de la période coloniale jusque dans les années 1990 -, le réseau ferroviaire affichait fièrement 600 locomotives et 3.000 wagons de passagers permettant de relier les pays voisins. «C'était le cœur du réseau ferroviaire en Afrique australe», selon Nyasha Maravanyika.
Certaines locomotives du «train de la liberté» portent encore les initiales RR de la Rhodesian Railways, du nom du Zimbabwe avant son indépendance.
Sur le chemin du retour de Bulawayo, Ashley Sinda somnole dans un wagon après une longue journée de labeur.
«J'habite à 300 mètres du dernier arrêt, c'est facile», explique la femme de ménage, mère célibataire, assise entre des infirmières, des enseignants plongés dans leur téléphone portable et des travailleurs qui boivent avidement une bière locale bon marché.
«Il est impossible de payer les kombis, même s'ils sont plus rapides. Je suis vraiment contente de ce train».