Une vingtaine de théologiennes protestantes et catholiques, également féministes, ont publié une Bible des femmes. Le but : que les textes sacrés ne soient plus utilisés pour légitimer la «soumission des femmes».
Ce projet révolutionnaire a été lancé à Genève (Suisse) par Elisabeth Parmentier et Lauriane Savoy, deux enseignantes de la faculté de théologie fondée il y a plus de quatre siècles (1559) par Jean Calvin, le père du protestantisme francophone.
«On a constaté autour de nous qu’il y avait énormément de méconnaissance des textes bibliques, beaucoup de gens qui ne les connaissent plus, ou bien qui pensent qu’ils sont complètement périmés et (...) plus du tout en adéquation avec les valeurs actuelles d’égalité», explique Lauriane Savoy, 33 ans.
L’idée, poursuit-elle, a donc été de «montrer que les valeurs féministes et la lecture de la Bible ne sont pas incompatibles».
En Suisse, des théologiennes publient une "Bible des femmes" #AFP pic.twitter.com/YUUfSWNm9J
— Agence France-Presse (@afpfr) 27 novembre 2018
Les deux protestantes genevoises ont ensuite été vite rejointes par la théologienne catholique canadienne Pierrette Daviau, avant de réunir autour d’elles un panel de consœurs venues de différents horizons à la fois géographiques, religieux et générationnels.
«On a voulu travailler de manière œcuménique, on est des catholiques, des protestantes de différentes familles du protestantisme et venant de différents pays francophones, avec vraiment l’idée de représenter la diversité des femmes», a souligné Elisabeth Parmentier, 57 ans.
Dépasser les «interprétations partiales»
«Une Bible des femmes», c'est son titre, se veut également un hommage à un ouvrage au titre similaire : la Woman’s Bible, parue en 1898 sous la direction de la suffragette américaine Elizabeth Cady Stanton qui, déjà, s’indignait des interprétations masculines de la Bible.
«Nos chapitres scrutent des errances de la tradition chrétienne, des occultations, des traductions tendancieuses, des interprétations partiales, des relents du patriarcat qui ont pu mener à nombre de restrictions, voire d’interdits pour les femmes», expliquent les auteures en introduction de l’ouvrage.
«Dans un passage de l’Evangile selon saint Luc, qui met en scène Marthe et Marie (deux soeurs qui reçoivent la visite de Jésus)», détaille par exemple Elisabeth Parmentier, «il est écrit que Marthe assure le 'service', on a donc dit que Marthe servait le repas alors que le terme grec diakonia peut également avoir d’autres sens, par exemple signifier qu’elle était peut-être diacre».
Autre exemple de lecture féministe avec Marie-Madeleine ou Marie de Magdala. «C’est le personnage féminin qui revient le plus dans les Evangiles», rappelle Lauriane Savoy.
«Elle reste avec Jésus, y compris lorsqu’il va mourir sur la croix alors que tous les disciples hommes ont eu peur, c’est elle qui va au tombeau en premier et découvre la résurrection (...) c’est un personnage fondamental alors qu’on l’a pourtant décrite comme une prostituée qui était aux pieds de Jésus, peut-être même l’amante de Jésus dans des fictions récentes», constate Lauriane Savoy.
Les théologiennes prennent également soin de replacer les textes dans leur contexte et leur portée, notamment quand elles relisent certaines lettres envoyées par saint Paul aux communautés chrétiennes naissantes contenant des passages pouvant facilement être lus comme radicalement antiféministes.
«C’est comme si on prenait des lettres que quelqu’un envoie pour donner des conseils en considérant qu’ils sont valables pour l’éternité (...) c’est pour ça qu’on se bat contre une lecture littéraliste qui prend les textes au premier degré», affirme Elisabeth Parmentier.
Le mouvement #MeToo en écho
Les théologiennes abordent ainsi la Bible à travers différentes thématiques : le corps, la séduction, la maternité, la subordination... Le livre s’achève en donnant la parole à Marie, la mère de Jésus.
Et à l’heure où le mouvement #MeToo a redonné vigueur au combat féministe, «chaque chapitre prend appui sur des questions existentielles des femmes, des questions qui se posent aujourd’hui», souligne encore Elisabeth Parmentier.
Le livre se taille «un joli début de succès», se félicite son éditeur, Matthieu Mégevand, directeur de la maison d’édition protestante Labor et Fides.
D’un côté, «on est surpris car, quand on met le mot 'Bible' dans un titre, cela peut avoir tendance à rebuter, dit-il. Mais on pensait aussi qu’il pouvait intéresser étant donné les problématiques féministes actuelles.»
«Par rapport à celles qui disent que l’on doit jeter la Bible si l’on est féministe, nous, notre pari, c’est justement qu’il ne faut pas», insiste Elisabeth Parmentier.