«Ma fille a été une proie du terrorisme !»: pour la mère de Mna Guebla qui a blessé vingt personnes en se faisant exploser lundi à Tunis, la jeune diplômée au chômage a été embrigadée pour devenir la première femme kamikaze dans son pays.
En état de choc et entourée par des voisines, Dhahbia, la mère de Mna Guebla, peine à réaliser la mort de sa fille, âgée de 30 ans et qui vivait jusque là avec ses parents dans le village de Zorda, au coeur d'une zone rurale marginalisée dans la région de Mahdia (est). «Pourquoi tu nous as fait cela ? Qu'est-ce que nous t'avons fait pour nous faire subir cette catastrophe ?!», lance la mère assise sur un tapis en plastique tressé, frappant avec amertume ses jambes. En déclenchant ses explosifs sur la principale avenue de Tunis, dans la première attaque à secouer la capitale depuis 2015, sa fille aînée «a détruit toute sa famille, surtout sa soeur et ses deux frères», se lamente Dhahbia.
Piégée ?
Ses parents, analphabètes, peinent à comprendre comment cette jeune femme qui passait beaucoup de temps sur son ordinateur et quittait peu leur maison modeste composée de quelques pièces autour d'une cour, a pu être embrigadée jusqu'à commettre cet acte qui les désole. «Ils (les terroristes, NDLR) l'ont piégée parce qu'elle était naïve et fragile, pourtant nous avons tout fait pour qu'elle termine ses études. Elle était bien gâtée», déplore la mère.
«J'ai même vendu des oliviers pour lui acheter, à sa demande, un ordinateur portable, il y a quatre ans», raconte-elle. Selon la mère, elle se consacrait à «préparer son doctorat, c'est pour cela qu'elle s'isolait souvent dans sa chambre pour se concentrer sur ses études ou bien envoyer des demandes d'emploi».
Rien ne leur a indiqué qu'elle était peut-être en train de se radicaliser. «Il n'y a avait aucun changement dans son caractère», «rien ne montrait qu'elle avait des idées extrémistes», affirment à l'AFP ses parents. «Même son voile, elle le portait depuis son bac, et elle faisait la prière comme tout le monde, sans être particulièrement pieuse», précise la maman.
Diplômée mais sans emploi
Mna, 30 ans, célibataire, était titulaire d'un master en anglais des affaires depuis trois ans, mais elle n'avait pas trouvé d'emploi. Elle vivait chez ses parents, s'occupant parfois du cheptel familial. Vendredi, elle a averti sa mère et sa tante qui vit chez eux qu'elle comptait partir le lendemain passer quelques jours à Sousse (est) afin de chercher du travail. Lorsqu'elle a quitté la maison tôt le samedi matin, vers 07H00 locales, un oncle lui a proposé de l'emmener jusqu'au bus mais elle a refusé, affirmant qu'elle se rendait chez le médecin à Sidi Alouane, à sept kilomètres de Zorda, a indiqué cet oncle, Hbib Saafi.
Elle est morte sur le coup lundi en milieu de journée quand la charge qu'elle transportait a explosé. Vingt personnes, dont quinze policiers et deux adolescents, ont été blessées. Aucune n'a été touchée grièvement, selon les autorités. Le ministère de l'Intérieur a évoqué un «acte isolé» et «artisanal». La jeune kamikaze n'était «pas fichée et n'était connue ni pour ses antécédents ou ses appartenances religieuses».
La famille a appris le décès par la police qui a interpellé ses deux frères pour les interroger. Pour son père Mohamed, malade depuis l'été après un AVC et alité depuis deux mois après une fracture à la jambe, «jamais» sa fille «n'aurait fait de mal à personne, elle a sûrement été manipulée».
«la fleur de la famille»
Mohamed accuse aussi les dirigeants du pays d'être responsables par leur «népotisme et leur marginalisation des jeunes» du «triste sort» de Mna, «fille modèle, la fleur de la famille et la plus aimable».
Le chômage touche quasiment un tiers des jeunes diplômés en Tunisie et l'accès au premier emploi reste très difficile pour les jeunes des zones défavorisées, huit ans après la révolution ayant mis fin à la dictature. Pour le politologue Selim Kharrat, la jeune femme «a le profil type des jeunes radicalisés, souvent originaires de zones défavorisées, notamment rurales, désabusés, sans horizon en dépit de leurs études».
«Si elle a vécu pour avoir cette fin, j'aurais préféré qu'elle ne soit jamais née ! Elle est partie mais maintenant c'est nous et seulement nous qui paierons le prix, qui allons continuer à vivre dans la douleur !», murmure sa tante Saïda, la voix étranglée.