Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
DU DIMANCHE 14 AU LUNDI 15 OCTOBRE
Il serait impossible, voire indécent, d’ouvrir cette chronique sans parler de la catastrophe qui a frappé les habitants du département de l’Aude. Nous avions pris l’habitude de voir les images, souvent venues de Floride, de Caroline du Nord et du Sud, d’Alabama, montrant les effets dévastateurs des ouragans qui déferlent des Caraïbes sur le continent nord-américain.
Désormais, ce sont les impressionnantes vues aériennes des villages français, aux noms si évocateurs de la culture d’une région que je connais bien – cette partie du Sud-Ouest que j’ai souvent traversée lorsque, partis de Montauban, comme dans la chanson de Charles Trenet, nous allions visiter les tours de Carcassonne et faisions un saut à Narbonne. Ces étendues d’eau boueuse, ces ponts détruits, ces vies anéanties, ces visages marqués par la détresse, la stupéfaction, de Villardonnel à Villegailhenc, de Pezens à Coursan, de Cuxac-d’Aude à Trèbes – tous ces noms que l’on ne prononce qu’avec l’accent du Midi. Aucune autre actualité (remaniement, match de foot, rixes entre gamins sans valeurs ni repères) ne peut les effacer. L’urbanisation excessive ne suffit pas à expliquer de telles tragédies. Il y a la nature, il y a le climat, il y a ce qu’aucun humain ne contrôle, mais que tous les humains ont négligé.
DIMANCHE 14 OCTOBRE
Journée 100 % japonaise à Paris. Ce matin, au Petit Palais, dernière visite aux trente rouleaux de soie du peintre du XVIIIe siècle, Jakuchu, aussi talentueux que les plus célèbres Hiroshige ou Hokusai. L’exposition, exclusive, n’a pas pu durer plus d’un mois, car il ne fallait pas laisser des œuvres aussi fragiles longtemps à la lumière, leur vivacité en aurait souffert. Ces rouleaux représentent tout ce que Jakuchu aimait : poissons, oiseaux, rivières, nénuphars, insectes, coqs, canards, fleurs et pétales, qu’il peignait avec une précision, un sens des couleurs et des perspectives, un raffinement exceptionnels. Cette éblouissante démonstration de maîtrise et d’ingéniosité s’intitule Le royaume coloré des êtres vivants. Vous pouvez rester immobiles pendant de longues minutes face à un vol de moineaux et découvrir, de près, la finesse des traits, l’amour du détail. Toutes celles et ceux qui avaient réussi à entrer dans le Petit Palais en ressortirent plus fascinés encore par cet aspect de la culture japonaise.
Or, le même jour, mais plus tard, vers 18 h, à la Philharmonie de Paris, on put, pendant deux heures, assister à une démonstration de vigueur, de puissance, de violence, celle des tambours japonais qu’on appelle des taikos. Cinq hommes, doués d’une étonnante énergie et d’une endurance digne d’athlètes de haut niveau, tapent sur des instruments de tailles et formes diverses – rythme et virtuosité s’enchaînent dans un concert unique. D’une certaine manière, cette force n’est qu’une réplique de la délicatesse des rouleaux de soie.
VENDREDI 19 OCTOBRE
Il y a aussi une grande richesse dans le nouvel et ultime album de Johnny Hallyday, en vente aujourd’hui. J’avais eu le privilège d’entendre les dix titres de Mon pays c’est l’amour, il y a plusieurs mois, puisqu’on m’avait demandé d’écrire un texte pour le livret inséré dans la jaquette du CD. On m’avait ordonné le secret absolu. Je l’ai évidemment gardé. Aujourd’hui, on voit bien déjà qu’il y aura ceux qui n’aimeront pas, ceux qui adoreront. Pour ma part, j’ai été, et je demeure, frappé par la qualité de la voix, les doubles sens de chaque phrase (La mémoire dans la peau, je me rappelle de tout) et «l’américanité» de l’ensemble. Dans une de ses chansons, Un enfant du siècle, il demande : Que restera-t-il de nous ? Ne t’inquiète pas, Johnny, il restera tout de toi.